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L’HYPOTHÈSE OPTIMISTE. — PROVIDENCE.

ils travaillent tous contre votre théorie, et l’évolution de l’univers va dans un sens diamétralement contraire à votre prétendu bien. Alors vous condamnez l’œuvre même que vous vouliez absoudre. Chacun est libre de placer le bien où il l’entend, mais, de quelque façon qu’il l’entende, il ne peut faire que ce monde soit vraiment bon. On ne peut même pas se consoler en pensant qu’il est le plus mauvais des mondes possibles, et qu’il constitue ainsi l’épreuve suprême pour la volonté. L’univers n’est point une œuvre extrême, en mal comme en bien ; ce serait quelque chose d’être absolument mauvais, et l’absolu n’est point de ce monde. Rien ici-bas ne nous fait éprouver la satisfaction de quelqu’un qui voit un but poursuivi et touché. Il est impossible de montrer un plan dans l’univers, — même celui de tout abandonner à la spontanéité méritoire des êtres. Le monde n’a point sa fin en nous, pas plus que nous n’avons dans le monde notre fin fixée d’avance. Rien n’est fixé, arrangé et prédéterminé ; il n’y a point « d’adaptation » primitive et préconçue des choses les unes aux autres. Cette adaptation supposerait d’abord un monde des idées préexistant au monde réel, puis un démiurge arrangeant les choses sur le plan donné, comme fait un architecte : l’univers ressemblerait alors à certains palais d’exposition, dont toutes les pièces, construites à part l’une de l’autre, n’eurent besoin ensuite que d’être ajustées l’une à l’autre. Mais non : c’est plutôt un de ces édifices étranges auxquels chacun a travaillé de son côté, sans se préoccuper de l’ensemble ; il y a autant de fins et de plans qu’il y a d’ouvriers. C’est un désordre superbe, mais une telle œuvre manque trop d’unité pour qu’on puisse ou la blâmer ou la louer absolument. Y voir la complète réalisation d’un idéal quelconque, c’est rabaisser