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L’HYPOTHÈSE OPTIMISTE. — IMMORTALITÉ.

hommes ; il ne voit plus dans la nature, cette indifférente, qu’une amie, une alliée, une volonté mystérieuse d’accord avec la sienne ; il ne croit plus à la mort, car la mort complète serait une sorte de défaillance de la volonté ; or, une volonté vraiment forte ne croit pas pouvoir défaillir. Ainsi il lui semble qu’à force de vouloir, il pourra conquérir l’éternité. Puis, sans qu’il s’en aperçoive clairement, cette plénitude de vie et de jeunesse qui faisait son espérance se dépense peu à peu, se retire de lui, se dérobe, comme l’eau d’un vase qui baisse invinciblement sans qu’on sache par où elle s’en va. En même temps sa foi dans l’avenir faiblit et se trouble : il se demande si la foi et l’espérance ne seraient point la conscience fugitive d’une activité momentanément puissante, mais bientôt subjuguée par des forces supérieures. En vain la volonté se tend alors et fait effort pour se relever, elle retombe bientôt de tout son poids, ployant sous l’organisme brisé comme un cheval abattu sous le harnais. Puis l’esprit s’obscurcit : on sent une sorte de crépuscule se faire en soi, se répandre sur toutes ses pensées, on sent venir le soir. On assiste à ce travail lent et triste de la dissolution qui suit nécessairement l’évolution : l’être par degrés se relâche et se fond ; l’unité de la vie se disperse, la volonté s’épuise en vain à rassembler, à maintenir sous une même loi ce faisceau d’êtres qui se divise et dont l’assemblage constituait le moi : tout se délie, se résout en poussière. Alors enfin, la mort devient moins improbable, moins inconcevable pour la pensée : l’œil s’y fait, comme il se fait à l’obscurité qui monte quand le soleil descend au-dessous de l’horizon. La mort n’apparaît plus que comme ce qu’elle est réellement : une extinction de la vitalité, un tarissement de l’énergie intérieure. Et la mort ainsi conçue laisse moins d’espoir : on se relève d’un étourdissement