Page:Guyau - Esquisse d’une morale sans obligation ni sanction.djvu/86

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
76
DIVERS ESSAIS POUR JUSTIFIER L’OBLIGATION.

sances, qui a une portée morale jusqu’ici méconnue. « Un vrai positiviste, comme un vrai criticiste et un vrai sceptique, doit garder au fond de sa pensée un que sais-je ? et un peut-être… Il ne doit pas affirmer l’adéquation du cerveau à la réalité, l’adéquation de la science à la réalité, mais seulement à la réalité pour nous connaissable. L’expérience même nous apprend que notre cerveau n’est pas fait de manière à représenter toujours toutes choses comme elles sont indépendamment de lui… D’une part, donc, l’objet senti ou pensé n’est pas conçu comme étant tout entier pénétrable à la science, pénétrable au sujet sentant et pensant. D’autre part, le sujet n’est peut-être pas à son tour tout entier pénétrable pour lui-même. » — Ce principe de la relativité de toutes les connaissances construites avec les données de notre conscience, est la condition préalable du droit comme du devoir de justice. En effet, un tel principe est d’abord « limitatif et restrictif de l’egoïsme théorique, » qui est le dogmatisme intolérant ; de plus, il est « restrictif de l’égoïsme pratique, » qui est l’injustice. « Faire de son égoïsme et de son moi un absolu, c’est dogmatiser en action comme en pensée, c’est agir comme si l’on possédait la formule absolue de l’être ; c’est-à-dire : — Le monde mécaniquement connaissable est tout, la force est tout, l’intéret est tout. — L’injustice est donc de l’absolutisme en action et malfaisant pour autrui… Or, il restera toujours de l’inexplicable mécaniquement, ne fût-ce que le mouvement même et la sensation, élément de la conscience. Jointe à toutes les autres considérations, l’idée de ce quelque chose d’irréductible qui constitue notre conscience, en restreignant notre connaissance sensible, nous impose aussi rationnellement la restriction de nos mobiles sensibles, et cela en vue d’autrui, en vue du tout. Le solipsisme, comme