Page:Hérodote - Histoire.djvu/36

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

34 HISTOIRE D’HÉRODOTE et je n’en ai pas le désir : souvent je m’en suis abstenu. Mais tu le désires : il faut t’obliger, il faut reconnaitre tes bienfaits ; je suis prêt à obéir. Sois sûr que ton fils, confié à ma garde, reviendra sain et sauf, autant qu’il dépendra de son gardien." XLIII. Le prince Atys et lui partirent après cette réponse, avec une troupe de jeunes gens d’élite et la meute du roi. Arrivés au mont Olympe, on cherche le sanglier, on le trouve, on l’environne, on lance sur lui des traits. Alors cet étranger, cet Adraste, purifié d’un meurtre, lance un javelot, manque le sanglier, et frappe le fils de Crésus. Ainsi le jeune prince fut percé d’un fer aigu ; ainsi fut accompli le songe du roi. Aussitôt un courrier dépêché à Sardes apprit au roi la nouvelle du combat et le sort de son fils. XLIV. Crésus, troublé de sa mort, la ressentit d’autant plus vivement qu'il avait lui-même purifié d’un homicide celui qui en était l’auteur. S’abandonnant à toute sa douleur, il invoquait Jupiter Expiateur, le prenait à témoin du mal que lui avait fait cet étranger ; il l’invoquait encore comme protecteur de l’hospitalité, parce qu’en donnant à cet étranger une retraite dans son palais, il avait nourri sans le savoir le meurtrier de son fils ; comme dieu de l’amitié, parce qu’ayant chargé Adraste de la garde de son fils, il avait trouvé en lui son plus cruel ennemi. XLV. Quelque temps après, les Lydiens arrivèrent avec le corps d’Atys, suivi du meurtrier. Adraste, debout devant le cadavre, les mains étendues vers Crésus, le conjure de l’immoler sur son fils, la vie lui étant devenue odieuse depuis qu’à son premier crime il en a ajouté un second, en tuant celui qui l’avait purifié. Malgré le deuil qui frappait sa maison, Crésus ne put entendre le discours de cet étranger sans être ému de compassion. " Adraste, lui dit-il, en te condamnant toi-même à la mort, tu satisfais pleinement ma vengeance. Tu n’es pas l’auteur de ce meurtre, puisqu’il est involontaire ; je n’en accuse que celui des dieux qui me l’a jadis prédit." Crésus rendit les derniers devoirs à son fils, et ordonna qu’on lui fît des funérailles convenables à son rang. La cérémonie achevée, et le silence régnant autour du monument, cet Adraste, fils de Gordius, petit-fils de Midas, qui avait été le meurtrier de son