Page:Hardy - Jude l’Obscur.djvu/20

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crut voir Phillotson se promener, comme dans la fournaise de Nabuchodonosor. Il offrit ses lèvres au vert du nord-est qu’il savoura comme une douce liqueur. Et il crut entendre le son des cloches, la voix de la cité, faible et musicale, murmurant : « On est heureux ici. »

Un bruit le tira de son extase. Il aperçut une voiture de charbon conduite par deux hommes et un gamin. Celui-ci plaça une grosse pierre contre les roues et donna aux bêtes haletantes le loisir de se reposer. Jude s’adressa aux deux hommes, demandant s’ils venaient de Christminster.

— À Dieu ne plaise !… Avec ce chargement !…

— L’endroit dont je parle est là-bas.

Jude était si romanesquement épris de Christminster qu’il n’osait prononcer ce nom : tel un amant parlant de sa maltresse. Il montra la lumière dans le ciel; elle était à peine visible pour des yeux un peu figés.

— Oui, il y a au nord-est un point brillant. Cela doit être Christminster. Ici, un petit livre de contes, que Jude portait sous son bras, glissa et tomba sur la route. Le charretier l’examina pendant qu’il le ramassait et arrangeait les feuillets.

— Ah ! jeune homme, dit-il, il vous faudrait une autre caboche pour lire ce qu’on lit là-bas.

— Pourquoi ? demanda l’enfant.

— Oh ! les gens de Christminster ne s’occupent jamais de rien que nous puissions comprendre. Ils étudient les langues étrangères, les langues d’avant le déluge, quand il n’y avait pas deux familles, qui parlaient la même. Et ils lisent ces sortes de choses aussi vite que vole un engoulevent… Oh ! c’est une ville