Page:Hardy - Jude l’Obscur.djvu/21

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grave… Vous savez, je pense, qu’ils élèvent les pasteurs comme des radis de couche. Il leur faut cinq ans pour faire d’un lourdaud bredouillant un prêcheur solennel, à la longue figure, à la longue redingote noire, que sa propre mère ne reconnaîtrait pas toujours… Voilà ; c’est leur métier : chacun le sien.

— Mais comment savez-vous ?…

— N’interrompez pas, mon garçon, n’interrompez jamais vos anciens… Je ne suis point allé à Christminster, mais j’en ai entendu parler, ici et là, en allant par le monde et en fréquentant toutes les classes de la société. J’ai été renseigné par un de mes amis qui cirait les bottes à l’hôtel Crozier, à Christminster, dans sa jeunesse.

Jude remercia chaleureusement le charretier, disant qu’il aurait désiré pouvoir parler de Christminster, la moitié seulement aussi bien que lui.

Il continua seul sa route vers la maison; et sa méditation était si profonde qu’il en oublia d’avoir peur. L’enfant se transformait soudain. C’était le vœu de son cœur de s’attacher, de se vouer à quelque chose d’admirable. Trouverait-il à Christminster cet objet d’admiration ? Y avait-il un endroit où sans crainte des fermiers, des empêchements; du ridicule, il pourrait veiller et attendre, et se préparer à quelque haute entreprise, comme ces hommes d’autrefois dont il avait entendu parler ? Pareil au halo lumineux qui avait paru devant ses yeux un quart d’heure plus tôt, le lieu idéal rayonnait dans son esprit pendant qu’il poursuivait sa route ténébreuse.

« C’est une ville de lumière, » se disait-il.

« C’est là que croit l’arbre de la science, » ajouta-t-il quelques pas plus loin.