Page:Histoire de l'Académie Royale des Sciences et des Belles Lettres (1746).djvu/302

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n’auroient fait les figures les plus composées & les plus régulleres, décrites avec des instrumens.

Je ne sai si aucune de ces réponses est satisfaisante : mais je ne crois pas l’objection invincible. Le vrai Philosophe ne doit, ni se laisser éblouïr par les parties de l’Univers où brillent l’ordre & la convenance, ni se laisser ébranler par celles où il ne les découvre pas. Malgré tous les desordres qu’il remarque dans la Nature, il y trouvera assez de caracteres de la sagesse & de la puissance de son Auteur, pour qu’il ne puisse le méconnoître.

Je ne parle point d’une autre espece de Philosophes, qui soûtiennent qu’il n’y a point de mal dans la Nature : Que tout ce qui est, est bien.[1]

Si l’on examine cette proposition, sans supposer auparavant l’existence d’un Etre tout puissant & tout sage, elle n’est pas soûtenable. Si on la tire de la supposition d’un Etre tout sage & tout puissant, elle n’est plus qu’un Acte de foi. Elle paroît dabord faire honneur à la suprême Intelligence ; mais elle ne tend au fond qu’à soûmettre tout à la necessité. C’est plustôt une consolation dan nos miseres, qu’une loüange de notre bonheur.

Je reviens aux preuves qu’on tire de la contemplation de la Nature.

Ceux qui ont le plus rassemblé de ces preuves, n’ont point assez examiné leur force ni leur étendue. Mille choses dans l’Univers annoncent qu’il n’est point gouverné par une Puissance aveugle : De tous côtés on apperçoit des suites d’effets concourans à quelque but : cela ne prouve que de l’intelligence & des desseins : c’est dans le but de ces desseins qu’il faut chercher la sagesse. L’habileté dans l’exécution ne suffit pas ; il faut que le motif soit raisonnable. On n’admireroit point, on blâmeroit l’Ouvrier ; & il seroit d’autant plus blâmable, qu’il auroit emploié plus d’adresse à construire une machine qui ne seroit d’aucune utilité, ou dont les effets seroient dangereux.

  1. Pope. Essai sur l’homme.