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ALEXANDRE (Princes anciens, MACÉDOINE)

consulter l’oracle de Jupiter-Ammon, qui jouissait presque de la même autorité que ceux de Delphes et de Dodone. Tous les trois décidaient, par leurs réponses, des affaires les plus importantes de la Grèce. Le crédit du premier se soutint longtemps, et ne commença à déchoir que sous les Romains, qui ajoutèrent plus de foi aux vers sibyllins et aux divinations étrusques. Cette grande et ancienne réputation de l’oracle d’Ammon engagea Alexandre à aller lui-même le consulter. Deux chemins y conduisaient, l’un en partie le long de la mer, l’autre tout entier dans l’intérieur des terres. Alexandre prit le premier, en partant d’Alexandrie, et le second à son retour en Égypte. Le choix de la première route était d’autant plus prudent, qu’il pouvait y trouver des moyens de subsistance, surtout pour ses bêtes de charge et sa cavalerie. Les envoyés de Cyrène vinrent sur cette route au-devant de lui[1] ; ce qui prouve qu’elle n’était ni inconnue ni impraticable, comme Quinte-Curce voudrait le faire croire. Selon lui, les sables du pays que traversa l’armée macédonienne étaient tellement échauffés par les rayons du soleil, qu’ils brûlaient la plante des pieds : « on avait à lutter contre un sable à la fois tenace et profond ; et, avant même d’entrer dans ces immenses solitudes arides et sans eau, la terre offrait déjà le spectacle de la stérilité et de la langueur. » Quinte-Curce fait ensuite mention d’un orage accompagné d’une grosse pluie qui soulagea beaucoup les Macédoniens ; ce qui arriva, ajoute-t-il, soit par la faveur des dieux, soit par hasard. Mais rien n’est plus ordinaire que ces sortes de pluies, et les vents qui rafraîchissent l’air de cette contrée, surtout le long de la mer : sans cela il serait impossible de pénétrer dans ces déserts, et Alexandre aurait été le plus insensé des hommes de le tenter. On lui accordera au moins assez de sens pour avoir consulté les gens du pays et pris en conséquence des mesures capables de le sauver, lui et son armée. Quinte-Curce donne à celle-ci, pour guides, des corbeaux, dont le croassement, suivant Callisthène, servait de signal de ralliement aux soldats qui s’écartaient. Ptolémée avait imaginé un autre miracle : c’était deux dragons qui, en jetant de grands cris, dirigèrent la marche des Macédoniens. C’est avec raison que Strabon traite tous ces récits de fables inventées pour flatter Alexandre. Sans nous y arrêter davantage, nous nous empresserons d’arriver avec ce prince au temple de Jupiter-Ammon. À peine le conquérant macédonien entrait-il dans ce temple, qu’il fut qualifié fils de Jupiter par le plus ancien des prêtres. Alexandre accepta ce titre, et demanda aussitôt si son père lui destinait l’empire du monde. La réponse ayant été affirmative, il voulut encore savoir si tous les complices de la mort de son père avaient été punis. Le prêtre répliqua avec beaucoup d’esprit : « que son père était à l’abri de tout attentat, et que les assassins de Philippe étaient morts dans les supplices ; que pour lui, il serait invincible jusqu’à ce qu’il eût pris place parmi les dieux[2]). » Ce récit de Quinte-Curce s’écarte peu de ceux de Diodore, de Plutarque et de Justin. Suivant Maxime de Tyr, Alexandre se permit une troisième question sur les sources du Nil ; ce qui n’est pas hors de vraisemblance. Arrien ne fait mention d’aucune de ces demandes ; il se contente de dire qu’Alexandre ayant consulté l’oracle d’Ammon, il en reçut une réponse conforme, disait-il, à ses vœux.

Alexandre, de retour en Égypte, y reçut les secours en hommes qu’Antipater lui envoyait de Macédoine, et dont il avait le plus grand besoin pour exécuter ses vastes desseins. Affaibli par ses propres victoires et par les sièges meurtriers de Tyr et de Gaza, il avait détaché Amyntas avec plusieurs vaisseaux, pour faire de nouvelles levées et les lui amener. On voit par là que ce prince, après la bataille d’Issus, étant dans l’impuissance de poursuivre Darius, avait été obligé de s’emparer des villes maritimes de Syrie et de Phénicie, afin de s’assurer une communication libre avec ses États, et d’en tirer des troupes. Cependant quelques écrivains modernes l’ont accusé d’avoir donné le temps aux Perses de rassembler tranquillement toutes leurs forces en allant conquérir l’Égypte, qui serait tombée d’elle-même en son pouvoir, et consulter en personne, au milieu des déserts, un oracle qui aurait pu être interrogé, de sa part, par des théores, avec le même succès et bien moins de danger. Mais ces hommes qui, après un laps de vingt et un siècles, jugent avec tant de hardiesse le plus heureux des capitaines de l’antiquité, et certainement un des plus habiles, auraient dû sentir la nécessité où il se trouvait de ne laisser derrière lui aucun pays ennemi, et d’attendre les renforts qu’il avait demandés. À la vérité, il aurait pu se dispenser d’aller lui-même au temple d’Ammon ; mais craignant sans doute l’oisiveté de ses soldats, il en employa une partie à construire la ville d’Alexandrie, et emmena l’autre avec lui pour la rendre témoin de la réponse d’Ammon, et persuader ainsi à son armée qu’il descendait des dieux, ou du moins qu’il en était favorisé d’une manière spéciale. D’ailleurs, l’oracle de Delphes, corrompu par l’or de Philippe et dévoué trop ouvertement à son fils, avait perdu son crédit, tandis que l’oracle d’Ammon conservait encore tout le sien ; avantage qu’il devait à son éloignement, et surtout à la prudence de ne s’être dévoué à aucun parti dans les dissensions de la Grèce. Les nations de l’Orient connaissaient beaucoup plus Ammon, et c’était chez elles qu’Alexandre allait porter la guerre : ainsi ce prince, en se faisant déclarer invincible, ou fils de Jupiter, inspirait à ces nations le respect et la crainte, et à son armée la confiance et l’enthousiasme, gages assurés de

  1. Diodore de Sicile, XVII.
  2. Quinte-Curce, IV, 7.