Page:Hoffmann - Contes posthumes, 1856, trad. Champfleury.djvu/305

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taches de cerises, qu’il est facile d’enlever avec du sel d’oseille. Et voilà précisément le vrai sans-gêne de l’enfance ; une fois sortie de la cohue de ce maudit marché, la petite profite en plein de sa liberté retrouvée.

LE COUSIN, continuant la conversation. — En attendant, voilà déjà longtemps que cet homme m’a frappé, et qu’il reste pour moi une énigme indéchiffrable ; tu vois bien, cet homme que voilà là-bas près de la seconde pompe, vers cette voiture, sur laquelle cette femme vend à même d’un grand tonneau de la marmelade aux pruneaux. D’abord, les grosses ventes d’une livre, d’une demie et d’un quart, puis viennent les lécheurs impatients, qui tendent leurs petits papiers et même leurs casquettes à poils. Elle leur jette, avec la rapidité de l’éclair, la petite quantité de confitures qu’ils demandent et qu’ils dévorent aussitôt avec bonheur, comme un bon repas du matin. Caviar du peuple[1] ! À cette adroite distribution de confitures, au moyen de la cuiller renversée, il me souvient d’avoir entendu raconter une fois dans mon enfance que, dans une riche noce de paysans, tout avait été fait d’une manière si splendide, que le riz délicat, sur lequel s’étendait une superbe croûte de cannelle, de sucre et de girofle, avait été partagé entre les convives à coups de fléau. Tous les convives n’avaient qu’à ouvrir bravement la bouche pour recevoir leur part, de sorte qu’ils étaient là tout à fait comme dans un pays de Cocagne. Eh bien, as-tu trouvé mon homme ?

MOI. — Parbleu, oui. Quelle drôle de tournure ! Au moins

  1. Caviar, composition faite avec des œufs d’esturgeon. C’est un mets tellement recherché par les hautes classes, qu’Hoffmann l’a comparé aux confitures du peuple.