Page:Hoffmann - Contes posthumes, 1856, trad. Champfleury.djvu/310

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une grande créature svelte qui n’a pas trop mauvaise apparence. — Son surtout d’épaisse soie rose foncé est toute à fait neuf. — Le chapeau et le voile brodé de riches dentelles, sont de la dernière mode. — Des gants glacés blancs. Qu’est-ce qui oblige donc cette élégante dame, invitée à quelque déjeuner, à se hasarder au milieu de la cohue du marché ! — Ah bah ! elle aussi, c’est une acheteuse. Elle s’arrête et fait signe à une vieille femme sale et déguenillée, image vivante de la misère dans la lie du peuple, qui se traîne péniblement après elle en boitant. L’élégante dame reste au coin du théâtre pour donner une aumône à cet invalide aveugle de la landwehr, qui est appuyé contre le mur. Elle tire avec difficulté le gant de la main droite. — Ah ! Dieu ! il en sort un gros poing tout rouge et de forme passablement masculine. Cependant, sans beaucoup chercher et choisir, elle met dans la main de l’aveugle une pièce d’argent, court rapidement jusqu’au milieu de la rue Charlotte, et prend là un majestueux pas de promenade, sans se soucier davantage de la guenilleuse qui la suit ; elle gagne ainsi l’allée de tilleuls au-dessus de la rue Charlotte.

LE COUSIN. — La vieille a mis pour se reposer son panier à terre, et d’un regard tu peux voir toutes les emplètes de la belle dame.

MOI. — En effet c’est assez singulier. — Une tête de chou, beaucoup de pommes de terre, un petit pain, quelques harengs enveloppés dans du papier, un fromage de brebis qui n’a pas l’air trop frais, un foie de mouton, un petit rosier, une paire de pantoufles, un tire-bottes.

LE COUSIN. — Silence, silence ! Assez, assez de la femme