Page:Homère - Odyssée, traduction Leconte de Lisle, 1893.djvu/134

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la chute de Hèlios, nous mangeâmes, assis, les chairs abondantes, et nous bûmes le vin rouge ; mais il en restait encore dans les nombreuses amphores que nous avions enlevées de la citadelle sacrée des Kikônes. Et nous apercevions la fumée sur la terre prochaine des Kyklopes, et nous entendions leur voix, et celle des brebis et des chèvres. Et quand Hèlios tomba, la nuit survint, et nous nous endormîmes sur le rivage de la mer. Et quand Éôs aux doigts rosés, née au matin, apparut, ayant convoqué l'agora, je dis à tous mes compagnons :

— Restez ici, mes chers compagnons. Moi, avec ma nef et mes rameurs, j'irai voir quels sont ces hommes, s'ils sont injurieux, sauvages et injustes, ou s'ils sont hospitaliers et craignant les dieux.

Ayant ainsi parlé, je montai sur ma nef et j'ordonnai à mes compagnons d'y monter et de détacher le câble. Et ils montèrent, et, assis en ordre sur les bancs de rameurs, ils frappèrent la blanche mer de leurs avirons.

Quand nous fûmes parvenus à cette terre prochaine, nous vîmes, à son extrémité, une haute caverne ombragée de lauriers, près de la mer. Et là, reposaient de nombreux troupeaux de brebis et de chèvres. Auprès, il y avait un enclos pavé de pierres taillées et entouré de grands pins et de chênes aux feuillages élevés. Là habitait un homme géant qui, seul et loin de tous, menait paître ses troupeaux, et ne se mêlait point aux autres, mais vivait à l'écart, faisant le mal. Et c'était un monstre prodigieux, non semblable à un homme qui mange le pain, mais au faîte boisé d'une haute montagne, qui se dresse, seul, au milieu des autres sommets.

Et alors j'ordonnai à mes chers compagnons de rester auprès de la nef et de la garder. Et j'en choisis douze des plus braves, et je partis, emportant une outre de peau de chèvre, pleine d'un doux vin noir que m'avait donné Maron,