Page:Homère - Odyssée, traduction Leconte de Lisle, 1893.djvu/157

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quand elle m’eut lavé et parfumé d’huile grasse, elle me revêtit d’une tunique et d’un beau manteau. Puis elle me fit asseoir sur un thrône d’argent bien travaillé, et j’avais un escabeau sous mes pieds. Une servante versa, d’une belle aiguière d’or dans un bassin d’argent, de l’eau pour les mains, et dressa devant moi une table polie. Et la vénérable Intendante, bienveillante pour tous, apporta du pain qu’elle plaça sur la table ainsi que beaucoup de mets. Et Kirkè m’invita à manger, mais cela ne plut point à mon âme.

Et j’étais assis, ayant d’autres pensées et prévoyant d’autres maux. Et Kirkè, me voyant assis, sans manger, et plein de tristesse, s’approcha de moi et me dit ces paroles ailées :

— Pourquoi, Odysseus, restes-tu ainsi muet et te rongeant le cœur, sans boire et sans manger ? Crains-tu quelque autre embûche ? Tu ne dois rien craindre, car j’ai juré un grand serment.

Elle parla ainsi, et, lui répondant, je dis :

— Ô Kirkè, quel homme équitable et juste oserait boire et manger, avant que ses compagnons aient été délivrés, et qu’il les ait vus de ses yeux ? Si, dans ta bienveillance, tu veux que je boive et que je mange, délivre mes compagnons et que je les voie.

Je parlai ainsi, et Kirkè sortit de ses demeures, tenant une baguette à la main, et elle ouvrit les portes de l’étable à porcs. Elle en chassa mes compagnons semblables à des porcs de neuf ans. Ils se tenaient devant nous, et, se penchant, elle frotta chacun d’eux d’un autre baume, et de leurs membres tombèrent aussitôt les poils qu’avait fait pousser le poison funeste que leur avait donné la vénérable Kirkè ; et ils redevinrent des hommes plus jeunes qu’ils n’étaient auparavant, plus beaux et plus grands. Et ils me reconnurent, et tous, me serrant la main, pleuraient de joie,