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18 LETTRE DE MAUGARS SUR LA MUSIQUE EN ITALIE.

apporté le premier l’usage aux Anglois, qui depuis ont surpassé toutes les nations.

"Ce fut dans cette vertueuse maison[1] où je fus premièrement obligé, à la prière de ces rares personnes, de faire paroistre dans Rome le talent qu’il a pleù à Dieu me donner, en présence encore des dix ou douze des plus intelligens de toute l’Italie, lesquels après m’avoir ouy attentivement me flattèrent de quelques louanges : mais ce ne fut pas sans jalousie. Pour m’esprouver davantage, ils obligèrent la signera Leonora, de garder ma viole, et de me prier de revenir le lendemain ; ce que je feis : et ayant esté adverty par un amy, qu’ils disaient que je jouais fort bien des pièces estudiées ; je leur donnay tant de sortes de préludes et de fantaisies cette seconde fois, que véritablement ils m’estimèrent plus qu’ils n’avaient pas fait la première. Depuis, j’ay esté visité des honnestes gens curieux, ma viole ne voulant point sortir de ma chambre que pour la pourpre, à qui elle est accoustumée d’obéir depuis tant d’années. Après l’estime des honnestes gens, cela ne fut pas encore assez, pour gagner absolument celle des gens du mestier, un peu trop raffinez, et par trop retenus à applaudir les estrangers. On me donna avis qu’ils confessaient que je jouais fort bien seul, et qu’ils n’avaient jamais ouy toucher tant de parties sur la viole ; mais qu’ils doutaient qu’estant français, je fusse capable de traitter et diversifier un subjet à l’improviste. Vous sçavez, Monsieur, que c’est là où je ne réussis pas le moins. Ces mêmes paroles m’ayant esté dites la veille de Sainct- Louys dans l’église des François, en entendant une excellente musique qui s’y faisait, cela me fit résoudre le len-

  1. Chez Léonora Baroni, fille d’Adriana, surnommée la Belle, née vers 1610.