Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Choses vues, tome II.djvu/128

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d’exposition publique. Mettre le sieur Bonaparte au pilori dans la personne du sieur Hubert.

La providence ici prend clairement fait et cause pour nous. Elle saisit M. Bonaparte en flagrant délit d’espionnage et nous le livre. Si triste que soit la découverte, l’occasion est bonne. Dans cette affaire, tout l’avantage moral revient à la proscription, à la démocratie, à la république. La situation est excellente. Ne la gâtons pas.

Et savez-vous comment nous la gâterions ? En nous méprenant sur notre droit. En nous comportant comme des vénitiens du seizième siècle au lieu de nous conduire comme des français du dix-neuvième. En agissant comme le conseil des Dix. En tuant l’homme.

En principe, pas de peine de mort, je vous le rappelle. Pas plus contre un espion que contre un parricide. En fait, c’est absurde.

Touchez cet homme, blessez-le, frappez-le seulement, et demain l’opinion qui est pour vous se tourne contre vous. La loi anglaise vous cite à sa barre. De juges, c’est vous qui devenez accusés. M. Hubert disparaît, M. Bonaparte disparaît ; l’espion et l’empereur s’en vont dans le brouhaha l’un portant l’autre, et que reste-t-il ? Vous, proscrits français, devant un jury anglais.

Et au lieu de dire : Voyez l’indignité de ce Bonaparte ! on dira : Voyez la brutalité de ces démagogues !

Citoyens, ajoutai-je en étendant le bras du côté de Hubert, je prends cet homme sous ma garantie, non pour l’homme, mais pour la république. Je m’oppose à ce qu’il lui soit fait aucun mal, ni aujourd’hui, ni demain, ni ici, ni ailleurs. Je résume votre droit en un mot : publier, ne pas tuer. L’honneur de l’homme, et non sa peau. Le châtiment par la lumière, non par la violence. Un acte de grand jour, non un acte de nuit. La peau de Hubert ! grand Dieu ! qui est-ce donc qui en veut ? qu’est-ce que vous feriez de la peau d’un mouchard ? quant à moi, je ne veux pas même de celle de Bonaparte. Je le déclare, personne ne touchera à Hubert, personne ne le maltraitera. Poignarder M. Bonaparte, ce serait dégrader le poignard ; souffleter M. Hubert, ce serait salir le soufflet. —

Ces paroles, que je récris aujourd’hui de mémoire, furent écoutées avec une attention profonde et une adhésion croissante à chaque mot. Quand je me rassis, la question était décidée. À vrai dire, je ne pense pas que Hubert, quelles qu’eussent été les violences du début, courût, séance tenante, un danger immédiat ; mais le lendemain pouvait être fatal. Comme je me rasseyais, j’entendis derrière moi un proscrit nommé Fillion, échappé d’Afrique, dire distinctement :

— Voilà ce que c’est. Le mouchard est sauvé. Il fallait faire, et ne pas dire. Cela nous apprendra à bavarder.