Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Choses vues, tome II.djvu/145

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— C’est une cage, en effet, me répondit-il. C’est la cage du pilori. Il y a quinze ou vingt ans encore, on dressait cela dans le marché et on y exposait les criminels. On y a renoncé. La cage est hors de service.

Comme la potence de Béasse, cette cage était peinte en gris noir. Autrefois la cage du carcan était en fer, puis on l’a faite en bois qu’on a peint en noir pour que ce bois ressemblât à du fer, puis elle a disparu. C’est l’histoire de toute la vieille pénalité, avenir compris.

La poussière et l’ombre couvrent maintenant cet appareil de terreur. Il pourrit dans un des coins ténébreux de l’oubli. Les araignées ont trouvé cette cage du pilori bonne à prendre les mouches et y font leur toile.

La plate-forme du vieux gibet ayant mal fait sa fonction pour Béasse, on fabriqua pour Tapner un gibet exprès. On adopta le système de la trappe anglaise, qui s’ouvre sous le patient. Un officier de la garnison inventa pour l’ouverture de cette trappe un mécanisme « fort ingénieux », me dit le prévôt, et qui fut exécuté.

J’étais revenu à l’échafaud de Béasse.

On voyait encore à un des bouts de la corde les entailles que la hache tremblante du bourreau y avait faites.

— Maintenant, Monsieur, me dit le prévôt, tournez-vous.

Et il me montrait du doigt dans l’autre compartiment du hangar, toujours sur les poutres du comble, un ensemble de charpentes ayant la couleur rougeâtre du sapin. C’était comme un faisceau de planches et de solives posées pêle-mêle les unes sur les autres, et parmi lesquelles on distinguait tout d’abord une longue et lourde échelle à marches plates comme l’autre et qui me parut énorme. Tout cela était propre, neuf, frais, sinistre.

C’était l’échafaud de Tapner.

On n’avait pas jugé à propos de le peindre couleur de fer.

On voyait les montants, on distinguait la traverse, on pouvait compter les planches de la plate-forme et les marches de l’échelle. Je considérais du même regard l’échelle qu’avait gravie Béasse et l’échelle qu’avait gravie Tapner ; mes yeux ne pouvaient se détacher de ces degrés qu’avaient montés des pas de spectres et auxquels s’ajoutaient à perte de vue, pour l’œil de mon esprit, les sombres marches de l’infini.

Le hangar où nous étions est composé de deux corps de bâtiments dont le plan géométral présente un angle droit, forme d’équerre ou de potence. L’ouverture de l’équerre est remplie par une petite cour triangulaire qui fait songer au couteau de la guillotine. L’herbe y pousse entre les pavés ; la pluie y tombait ; c’était formidable.

Ce hangar funèbre servait autrefois d’écurie aux magistrats campagnards quand ils venaient juger à la ville. On voit encore les numéros des box où