Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Choses vues, tome II.djvu/178

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On fait des pâtés de rats. On dit que c’est bon.

Un oignon coûte un sou. Une pomme de terre coûte un sou.

On a renoncé à me demander l’autorisation de dire mes œuvres sur les théâtres. On les dit partout sans me demander la permission. On a raison. Ce que j’écris n’est pas à moi. Je suis une chose publique.


28 novembre. — Noël Parfait vient me demander de venir au secours de Châteaudun. De tout mon cœur, certes.

Les Châtiments ont été dits gratis à l’Opéra. Foule immense. On a jeté une couronne dorée sur la scène. Je la donne à Georges et à Jeanne. La quête faite par les actrices dans des casques prussiens pour les canons a produit, en gros sous, 1 521 fr. 35.

Émile Allix nous a apporté un cuissot d’antilope du Jardin des Plantes. C’est excellent.

Cette nuit aura lieu la trouée.


29 novembre. — Toute la nuit, j’ai entendu le canon.

Les poules ont été installées aujourd’hui dans mon jardin.

La sortie a un temps d’arrêt. Le pont jeté par Ducrot sur la Marne a été emporté, les prussiens ayant rompu les écluses.


30 novembre. — Toute la nuit le canon. La bataille continue.

Hier, à minuit, en m’en revenant du pavillon de Rohan par la rue de Richelieu, j’ai vu, un peu au delà de la Bibliothèque, la rue étant partout déserte, fermée, noire et comme endormie, une fenêtre s’ouvrir au sixième étage d’une très haute maison et une très, très vive lumière, qui m’a semblé être une lampe à pétrole, apparaître, disparaître, rentrer et sortir à plusieurs reprises ; puis, la fenêtre s’est refermée, et la rue est redevenue ténébreuse. — Était-ce un signal ?

On entend le canon sur trois points autour de Paris, à l’est, à l’ouest et au sud. Il y a, en effet, une triple attaque contre le cercle que font les prussiens autour de nous, La Roncière à Saint-Denis, Vinoy à Courbevoie, Ducrot sur la Marne. La Roncière aurait fait mettre bas les armes à un régiment saxon et balayé la presqu’île de Gennevilliers ; Vinoy aurait détruit les ouvrages prussiens au delà de Bougival. Quant à Ducrot, il a passé la Marne, pris et repris Montmesly, et il tient presque Villiers-sur-Marne. Ce qu’on éprouve en entendant le canon, c’est un immense besoin d’y être.