Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Choses vues, tome II.djvu/211

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14 juin. — On s’est battu au Père-Lachaise. Beaucoup de sépultures sont détruites. Les journaux annoncent qu’on a respecté le tombeau de mon père, où j’ai mis le 18 mars mon Charles. La tombe est intacte.


15 juin. — On me remet une lettre. Une femme m’écrit. Elle était la femme d’un nommé Garreau, serrurier, directeur de Mazas sous la Commune. Ce malheureux a été fusillé. Sa femme, en fuite, demande à entrer à mon service. Louise devant partir le 25, j’engage Alice à prendre Marie Mercier (c’est son nom) pour remplacer Louise. La pauvre femme dit que ce serait pour elle le paradis.


16 juin. — Charles Delescluze à Bordeaux faisait partie de la réunion de représentants de la gauche, rue Lafaurie-Monbadon, que je présidais. Je ne l’avais jamais vu. Un jour, dans une séance de la réunion qui, par extraordinaire, avait lieu dans le jour, et qui se tenait au 11e bureau, j’aperçois à un bout de la table où nous siégions un profil livide, yeux jaunes, lèvres bilieuses, cheveux blancs ayant été blonds. Édouard Lockroy était à ma droite. Je lui dis : — Quel est cet homme ? — Il me répond, bas : — C’est Delescluze. — Il était question des représentants de l’Alsace. J’avais proposé de déposer un projet de décret pour les retenir dans l’Assemblée. La gauche avait acclamé mon idée et m’avait demandé de rédiger la proposition. Delescluze parla pour de l’air dont il aurait parlé contre. Il affectait de ne pas prononcer mon nom et me désignait ainsi : le citoyen. Ce qui ne me fâchait pas. Il me regardait avec des yeux de haine inexprimable. Le soir, il y eut une deuxième réunion sur le même sujet. Delescluze y vint. Je lus ce que j’avais écrit. La lecture de la proposition, fixée en rédaction définitive, fit grand effet sur la gauche. On me félicita. Delescluze se leva, le visage sinistre et furieux, regarda de travers ma proposition déposée sur le bureau, et déclara avec rage qu’il l’approuvait. Je ne l’ai vu que ces deux fois-là.


18 juin. — Maurice Garreau était sous la Commune directeur de Mazas. Il allait tous les jours causer deux ou trois heures avec l’archevêque. Il répondait à Raoul Rigault qui le blâmait : — C’est égal, ça le désembête.

Ce pauvre Garreau a été fusillé. Sa veuve qui est ici, Marie Mercier, m’a raconté le fait. — Alice lui donne de l’ouvrage et je la secours de mon mieux.

Garreau, directeur de Mazas, a refusé de mettre le feu à la prison. Il a fait ce qu’il a pu pour alléger le sort des otages. Sa femme, malgré les défenses, portait les journaux à l’archevêque, non, dit-elle, qu’elle l’aimât plus