Cette variété de documents constitue le grand intérêt de ce dernier volume, qui renferme aussi de bien curieuses notes sur la vie des Tuileries sous Louis-Philippe, sur les personnages du temps, Guizot, Thiers, le prince de Joinville, Lamartine, sur la révolution de février 1848 et les journées de juin ; on y trouve de tout, jusqu’à des plaisanteries, des bons mots fort amusants, quoi qu’en disent ceux qui croiraient faire tort au génie de Victor Hugo en lui reconnaissant la légèreté de l’esprit.
… N’était la crainte de paraître paradoxal, je vous dirais que les Choses vues, dépositions d’un témoin sur les menus incidents de l’histoire, seront l’œuvre de Victor Hugo la plus lue par les historiens de demain.
C’est là du vrai et du grand reportage, que tant de gens dédaignent encore aujourd’hui et qui est la forme la plus vivante, la plus intéressante, la plus difficile du journalisme. Écrire une chronique sur un sujet donné, bien à l’aise, à tête reposée, en prenant son temps, parbleu ! la belle affaire, mais c’est à la portée du premier journaliste venu, à la condition qu’il ait des lettres, connaisse son histoire et ne soit dépourvu ni de philosophie, ni de style. Mais, pour raconter dans une forme personnelle l’événement dont vous venez d’être témoin, pour redonner de la vie au tumulte de tout à l’heure, classer les émotions de la rue, rendre les vibrations de la foule, pour être en un mot un « actualiste » dans le vrai sens du mot, il faut avoir une nature toute spéciale et cumuler à la fois la poésie de l’improvisation et la sûreté du jugement. Il n’y en a pas beaucoup parmi ceux qui se haussent sur leurs talons de grands seigneurs qui soient capables de ce tour de force quotidien.
Les Choses vues nous prouvent que Victor Hugo aurait été, s’il l’avait voulu, un de ces journalistes-là et que, tenant à la fois de Saint-Simon et de Chateaubriand, il aurait pu être ce qu’il nous apparaît : un « reporter de génie », comme l’a si bien qualifié hier M. Jules Claretie.
Choses vues, c’est le titre sous lequel vient de paraître le nouveau volume des œuvres inédites de Victor Hugo, série de notes intimes et familières, prises à coups de crayon, au courant de la vie. Et, certes, c’est bien l’histoire vraie que celle écrite ainsi, comme en robe de chambre et en pantoufles, sous l’impression du moment, sans l’apprêt de la réflexion, alors que, le « masque tombe », le « héros évanoui », l’homme est resté seul, bien seul, vis-à-vis de lui-même.
Le charme de ces petits tableaux, charme de bonhomie souvent narquoise, de sincérité même naïve, se double encore, alors qu’on se souvient que celui qui les peignit avait un pinceau de maître. Et comme ils sont colorés, ces croquis, comme elles sont à fleur de finesse, ces esquisses pointillées de malice. Comme elles sont dessinées, ces silhouettes qui s’animent, dans le pittoresque de la vérité. Le sang circule dans leurs veinules ; elles ont bien la grimace de la vie, sans avoir la solennité du portrait qui ment à la postérité.
Il y a là comme un panorama de quarante-cinq années qui se déroulent rapides, kaléidoscope vivant où les hommes et les choses se suivent et s’enlacent en une ronde amusante, gens de politique, gens de cour et gens de théâtre, pochés en pleine veine de sagesse railleuse. Cela court de 1825 à 1871, une période où les événements ne chômèrent pas. Et le grand poète, qui dit ce qu’il a vu, fait mieux encore, il nous le fait voir grâce à quelques feuillets de carnet mis en ordre par Paul Meurice qui livre à notre curiosité la figure intime et familiale que bien peu connaissent encore.