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IV

LA PRINCESSE SOMAÏLOFF.


La princesse Somaïloff est une russe assez belle, mais fort brune, à la peau tannée ; de plus insolente. Elle était l’an dernier à Bologne où se trouvait aussi la comtesse d’Agout, française des plus blanches. Un jour, dans un salon, Rossini qui hait les russes de cette bonne haine du chat pour le chien et du midi pour le nord, entendit Mme Somaïloff, fort décolletée elle-même, s’extasier sur la beauté et l’éclat des épaules de Mme d’Agout.

— Vous avez raison. Madame, dit-il ; vous voyez la différence du satin de Paris au cuir de Russie.




V

M. LE DUC D’HARCOURT.


M. le duc d’Harcourt venait à l’épaule de M. Thiers. Il était impossible de voir un plus petit homme et un plus grand nom. M. d’Harcourt avait l’œil vif, le nez pointu, les cheveux gris, le sourire fin, les manières aisées et simples, l’air d’un grand seigneur et d’un bon homme. Ses opinions dépassaient le libéralisme. Un jour, à propos de la Pologne, il fit contre les rois d’Europe une telle sortie que M. Pasquier le rappela à l’ordre. M. d’Harcourt se contenta de lui jeter un regard d’ancien duc à nouveau duc.

À la Chambre des pairs il ne restait jamais en place, il allait et venait sans cesse, ses deux mains dans les goussets de son pantalon gris, le collet de son habit de pair rabattu sur ses épaules, un bonnet de velours vert sur la tête. Un de ses fils, Jean d’Harcourt, était dans la marine, et bon officier.

M. d’Harcourt, presque républicain, affectait certaines façons suprêmes, il faisait partie du groupe de pairs qui portait le collet de velours noir à broderie étroite ; ce velours noir était ménagé à dessein par les anciens pairs pour laisser voir la place des fleurs de lys, ce qui indiquait la date de leur pairie. Sous la restauration le collet et les parements des pairs étaient brodés de fleurs de lys d’or et le collet et les parements des députés de fleurs de lys d’argent. Les pairs depuis 1830 couvraient collet et parements de broderies qui laissaient à peine voir le velours. Ce collet séparait les anciens orgueils des vanités nouvelles. M. d’Harcourt n’était pas inaccessible à ces misères. Du reste intelligent, cordial, généreux ; il ne battait personne à terre. Il fut