Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Histoire, tome I.djvu/132

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


v
PUISSANCE DE LA PAROLE.

Cette tribune, c’était la terreur de toutes les tyrannies et de tous les fanatismes, c’était l’espoir de tout ce qui est opprimé sous le ciel. Quiconque mettait le pied sur ce sommet sentait distinctement les pulsations du grand cœur de l’humanité ; là, pourvu qu’il fût un homme de bonne volonté, son âme grandissait en lui et rayonnait au dehors ; quelque chose d’universel s’emparait de lui et emplissait son esprit comme le souffle emplit la voile ; tant qu’il était sur ces quatre planches, il était plus fort et meilleur ; il se sentait, dans cette minute sacrée, vivre de la vie collective des nations ; il lui venait des paroles bonnes pour tous les hommes ; il apercevait, au delà de l’assemblée groupée à ses pieds et souvent pleine de tumulte, le peuple attentif, sérieux, l’oreille tendue et le doigt sur la bouche, et, au delà du peuple, le genre humain pensif, assis en cercle et écoutant. Telle était cette grande tribune du haut de laquelle un homme parlait au monde.

De cette tribune, sans cesse en vibration, partaient perpétuellement des sortes d’ondes sonores, d’immenses oscillations de sentiments et d’idées qui, de flot en flot et de peuple en peuple, allaient aux confins de la terre remuer ces vagues intelligentes qu’on appelle des âmes. Souvent on ne savait pourquoi telle loi, telle construction, telle institution chancelait là-bas, plus loin que les frontières, plus loin que les mers, la papauté au delà des Alpes, le trône du czar à l’extrémité de l’Europe, l’esclavage en Amérique, la peine de mort partout. C’est que la tribune de France avait tressailli. À de certaines heures un tressaillement de cette tribune, c’était un tremblement de terre. La tribune de France parlait, tout ce qui pense ici-bas entrait en recueillement ; les paroles dites s’en allaient dans l’obscurité, à travers l’espace, au hasard, n’importe où, – ce n’est que du vent, ce n’est que du bruit, disaient les esprits stériles qui vivent d’ironie, – et le lendemain, ou trois mois après, ou un an plus tard, quelque chose tombait sur la surface du globe, ou quelque chose surgissait. Qui avait fait cela ? Ce bruit qui s’était évanoui, ce vent qui avait passé. Ce bruit, ce vent, c’était le Verbe. Force sacrée. Du verbe de Dieu est sortie la création des êtres ; du verbe de l’homme sortira la société des peuples.