Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Histoire, tome I.djvu/183

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iv
CE QU'EÛT FAIT UNE ASSEMBLÉE.

Je suppose sur les bancs d’une assemblée le plus intrépide des penseurs, un éclatant esprit, un de ces hommes qui, lorsqu’ils se dressent debout sur la tribune, la sentent sous eux trépied, y grandissent brusquement, y deviennent colosses, dépassent de toute la tête les apparences massives qui masquent les réalités, et voient distinctement l’avenir par-dessus la haute et sombre muraille du présent. Cet homme, cet orateur, ce voyant veut avertir son pays ; ce prophète veut éclairer les hommes d’état ; il sait où sont les écueils ; il sait que la société croulera précisément par ces quatre faux points d’appui, la centralisation administrative, l’armée permanente, le juge inamovible, le prêtre salarié ; il le sait, il veut que tous le sachent, il monte à la tribune, il dit :

— Je vous dénonce quatre grands périls publics. Votre ordre politique porte en lui-même ce qui le tuera. Il faut transformer de fond en comble l’administration, l’armée, le clergé et la magistrature ; supprimer ici, retrancher là, refaire tout, ou périr par ces quatre institutions que vous prenez pour des éléments de durée et qui sont des éléments de dissolutions.

On murmure. Il s’écrie :

— Votre administration centralisée, savez-vous ce qu’elle peut devenir aux mains d’un pouvoir exécutif parjure ? Une immense trahison exécutée à la fois sur toute la surface de la France par tous les fonctionnaires sans exception.

Les murmures éclatent de nouveau et avec plus de violence ; on crie : à l’ordre ! L’orateur continue : — Savez-vous ce que peut devenir à un jour donné votre armée permanente ? Un instrument de crime. L’obéissance passive, c’est la bayonnette éternellement posée sur le cœur de la loi. Oui, ici même, dans cette France qui est l’initiatrice du monde, dans cette terre de la tribune et de la presse, dans cette patrie de la pensée humaine, oui, telle heure peut sonner où le sabre régnera, où vous, législateurs inviolables, vous serez saisis au collet par des caporaux, où nos glorieux régiments se transformeront, pour le profit d’un homme et la honte d’un peuple, en hordes dorées et en bandes prétoriennes, où l’épée de la France sera quelque chose qui frappe par derrière comme le poignard d’un sbire, où le sang de la première ville du monde assassinée éclaboussera l’épaulette d’or de vos généraux !

La rumeur devient tumulte ; on crie : à l’ordre ! de toutes parts. — On interpelle l’orateur : — Vous venez d’insulter l’administration, maintenant vous outragez l’armée ! — Le président rappelle l’orateur à l’ordre.