Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Poésie, tome II.djvu/243

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Que si tu nous voyais, ô fils de l’Archipel,
Quand la presse a battu l’unanime rappel,
Créneler à la hâte un droit qu’on veut détruire,
Ou, foule dévouée à qui veut nous conduire,
Contre un pouvoir pygmée agitant son beffroi,
Nous ruer pêle-mêle à l’assaut d’une loi,
Sur ces combats d’enfants, sur ces frêles trophées,
Oh ! que tu jetterais le dédain par bouffées,
Toi qui brises tes fers rien qu’en les secouant,
Toi dont le bras, la nuit, envoie en se jouant,
Avec leurs icoglans, leurs noirs, leurs femmes nues,
Les capitans-pachas s’éveiller dans les nues !






Va, que te fait l’oubli de ceux dont tu rirais
Si tu voyais leurs mains et leurs âmes de près ?
Que t’importe ces cœurs faits de cire ou de pierre,
Ces mémoires en qui tout est cendre et poussière,
Ce traitant qui, du peuple infructueux fardeau,
N’est bon qu’à s’emplir d’or comme l’éponge d’eau,
Ce marchand accoudé sur son comptoir avide,
Et ce jeune énervé, face imbécile et vide,
Eunuque par le cœur, qui n’admire à Paris
Que les femmes de race et les chevaux de prix ?
Que t’importe l’oubli de l’Europe, où tout roule,
L’homme et l’évènement, sous les pieds de la foule ?
De Paris qui s’éveille et s’endort tour à tour,
Et fait un mauvais rêve en attendant le jour ?
De Londre où l’hôpital ne vaut pas l’hippodrome ?
De Rome qui n’est plus que l’écaille de Rome ?
Et de ceux qui sont rois ou tribuns, et de ceux
Qui tiennent ton Hellé sous leur joug paresseux,
Vandales vernissés, blonds et pâles barbares,
Qui viennent au pays des rudes palikares,