Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Poésie, tome II.djvu/29

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Regardez à vos pieds. —

Regardez à vos pieds. —Louis, cette maison
Qu’on voit, bâtie en pierre et d’ardoise couverte,
Blanche et carrée, au bas de la colline verte,
Et qui, fermée à peine aux regards étrangers,
S’épanouit charmante entre ses deux vergers,
C’est là. — Regardez bien. C’est le toit de mon père.
C’est ici qu’il s’en vint dormir après la guerre,
Celui que tant de fois mes vers vous ont nommé,
Que vous n’avez pas vu, qui vous aurait aimé !

Alors, ô mon ami, plein d’une extase amère,
Pensez pieusement, d’abord à votre mère,
Et puis à votre sœur, et dites : « Notre ami
Ne reverra jamais son vieux père endormi !

« Hélas ! il a perdu cette sainte défense
Qui protège la vie encore après l’enfance,
Ce pilote prudent, qui pour dompter le flot
Prête une expérience au jeune matelot !
Plus de père pour lui ! plus rien qu’une mémoire !
Plus d’auguste vieillesse à couronner de gloire !
Plus de récits guerriers, plus de beaux cheveux blancs
À faire caresser par les petits enfants !
Hélas ! il a perdu la moitié de sa vie,
L’orgueil de faire voir à la foule ravie
Son père, un vétéran, un général ancien !
Ce foyer où l’on est plus à l’aise qu’au sien,
Et le seuil paternel qui tressaille de joie
Quand du fils qui revient le chien fidèle aboie !

« Le grand arbre est tombé ! resté seul au vallon,
L’arbuste est désormais à nu sous l’aquilon.
Quand l’aïeul disparaît du sein de la famille,
Tout le groupe orphelin, mère, enfants, jeune fille,
Se rallie inquiet autour du père seul