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VI

À UN VOYAGEUR.

L’une partie du monde ne sait point comme
l’autre vit et se gouverne.
Philippe de Commines.


Ami, vous revenez d’un de ces longs voyages
Qui nous font vieillir vite, et nous changent en sages
Au sortir du berceau.
De tous les océans votre course a vu l’onde,
Hélas ! et vous feriez une ceinture au monde
Du sillon du vaisseau.

Le soleil de vingt cieux a mûri votre vie.
Partout où vous mena votre inconstante envie,
Jetant et ramassant,
Pareil au laboureur qui récolte et qui sème,
Vous avez pris des lieux et laissé de vous-même
Quelque chose en passant !

Tandis que votre ami, moins heureux et moins sage,
Attendait des saisons l’uniforme passage
Dans le même horizon,
Et comme l’arbre vert qui de loin la dessine,
À sa porte effeuillant ses jours, prenait racine
Au seuil de sa maison.

Vous êtes fatigué, tant vous avez vu d’hommes !
Enfin vous revenez, las de ce que nous sommes,
Vous reposer en Dieu.
Triste, vous me contez vos courses infécondes,
Et vos pieds ont mêlé la poudre de trois mondes
Aux cendres de mon feu.