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II

REVUE DE LA CRITIQUE.


Comme pour Han d’Islande, nous avons consulté un grand nombre de journaux pour découvrir des articles sur Bug-Jargal. Nous n’avons guère été favorisés dans nos recherches. Nous voyons en revanche que, dès ses débuts, Victor Hugo n’était pas épargné par la critique, et que, malgré l’injustice coutumière, les écrivains étaient obligés de s’incliner devant ce jeune talent qui laissait pressentir de grandes œuvres dans l’avenir.

L’Opinion.

… Les beautés dont la trace se découvre dans Bug-Jargal semblent avoir échappé à l’auteur malgré lui : tout ce qu’il y a de ridicule et de faux dans l’ouvrage est le fruit d’un long effort ; on ne peut se donner plus de mal pour mal faire.

Soyons justes, contre la coutume des critiques. La plupart des scènes sont outrées, et la sensibilité manque, le style est dur, la conception est invraisemblable ; l’ensemble est incohérent. Mais un grand caractère, fermement dessiné, arrête les regards et force l’admiration : Bug-Jargal, prince, esclave, prisonnier, soldat, chef des révoltés, intéresse toujours. Il y a du talent et peut-être plus dans cette figure toute africaine, bien posée, bien tracée, bien colorée. C’est l’idéal de l’héroïsme chez un enfant des tropiques ; on y retrouve cette impulsion irrésistible et violente, ces germes de vertus, ces idées généreuses sans culture et sans art, cette farouche grandeur, que la civilisation n’a pu ni développer, ni anoblir. C’est un beau caractère et un nouveau caractère.

Le Mercure du dix-neuvième siècle.

… Ou l’auteur, ou nous-mêmes, nous trompons étrangement sur l’influence que les lettres devraient chercher à exercer partout. Nous avions pensé que leur mission était de rapprocher les partis, non de les faire se haïr de plus en plus. La vocation du poète nous paraissait une vocation d’amour et d’indulgence. Nous supposions que le talent devait conseiller le pardon des injures, la résignation sous la condition humaine. Le premier succès d’un livre, nous le croyions, était de rendre meilleurs ceux qui l’ont parcouru, de resserrer des nœuds fraternels, de faire espérer dans les biens d’un autre monde en adoucissant les haines de celui-ci.

L’auteur de Bug-Jargal (le même que celui de Han d’Islande) ne paraît pas comprendre ce ministère si évangéliquement rempli par Fénélon et J.-J. Rousseau. Du moins n’a-t-il montré quelque trace de sentiments pareils que dans une ode autrefois publiée sur le jeune duc de Bordeaux, et dans des stances remplies de grâce adressées à un enfant dans le dernier volume des annales romantiques. Ailleurs, il sait envenimer, non guérir. S’il touche une plaie morale ou politique, on dirait qu’il cherche à l’agrandir. Homme d’un jour, qui n’avez rien vu ni rien souffert, c’est une tâche risible et malheureuse à la fois que celle d’injurier tout un siècle, et des idées républicaines que vous comprenez peu et des morts que vous n’avez point combattus.

Le Drapeau blanc.
B. d’E.

… Les personnages de Han d’Islande, dans le roman de ce nom, et de Habibrah, dans Bug-Jargal, sont des monstruosités fantastiques dans le genre de celles de même nature que nous offrent les romans de Walter Scott.

… M. Victor Hugo, comme celui qu’il a pris pour modèle, a manqué les proportions de ses figures. Les grotesques eux-mêmes veulent ne pas être exagérés pour captiver l’imagination, pour la faire sourire, ou pour