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CROMWELL, le relevant avec un geste dédaigneux.
Le bonhomme le prend sur un singulier ton !

— Çà, maître John Milton, secrétaire interprète
Près le conseil d’état, vous êtes trop poëte.
Vous avez, dans l’ardeur d’un lyrique transport.
Oublié qu’on me dit votre altesse et mylord.
Mon humilité souffre à ce titre frivole :
Mais le peuple qui règne, et pour qui je m’immole,
À mon bien grand regret veut qu’il en soit ainsi.

Je me suis résigné : — résignez-vous aussi !
Milton se lève fièrement et sort.

CROMWELL, seul.
Au fond, il a raison. — Oui, mais il m’importune.

Charles premier ?... — Mais non, tu vois mal ma fortune,
Les rois comme Olivier n’ont point de tels trépas,
Milton ; on les poignarde, on ne les juge pas. —
J’y songerai pourtant. — Sinistre alternative !

SCÈNE V.
CROMWELL, LADY FRANCIS.
CROMWELL, apercevant lady Francis qui entre.
Ah ! Francis ! — On dirait qu’à mes maux attentive.

Rayonnante, elle vient charmer mes noirs ennuis,
Comme un jeune astre, éclos dans les profondes nuits.
Viens, ma fille ! — Toujours, ange à figure humaine.
Près de moi quand je souffre un instinct te ramène.
Je suis toujours heureux lorsque je te revois.
Ton œil vif et brillant, ta pure et douce voix,
Ont un charme pour moi, qui me rend ma jeunesse.
Viens, enfant ! que ton père à tes côtés renaisse !
Toi seule ici, du monde ignores les noirceurs.
Embrasse-moi. — Je t’aime avant toutes tes sœurs.

LADY FRANCIS, l’embrassant d’un air de joie.
De grâce, dites-moi, serait-il vrai, mon père ?

Vous relevez le trône ?

CROMWELL.
On le dit.