Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Théâtre, tome I.djvu/423

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

La vipère parfois de son dard s’est blessée ;
Au feu qu’on allumait souvent on se brûla ;
Et les yeux du Seigneur vont courant çà et là. —
Qui du peuple et des rois a signé le divorce ?
Moi. — Croit-on donc me prendre à cette vaine amorce ?
Un diadème ! — Anglais, j’en brisais autrefois.
Sans en avoir porté, j’en connais bien le poids.
Quitter pour une cour le camp qui m’environne ?
Changer mon glaive en sceptre et mon casque en couronne ?
Allons ! suis-je un enfant ? me croit-on né d’hier ?
Ne sais-je pas que l’or pèse plus que le fer ?
M’édifier un trône ! Eh ! c’est creuser ma tombe.
Cromwell, pour y monter, sait trop comme on en tombe.
Et d’ailleurs, que d’ennuis s’amassent sur ces fronts
Qui se rident sitôt, hérissés de fleurons !
Chacun de ces fleurons cache une ardente épine.
La couronne les tue ; un noir souci les mine ;
Elle change en tyran le mortel le plus doux.
Et, pesant sur le roi, le fait peser sur tous.
Le peuple les admire, et, s’abdiquant lui-même,
Compte tous les rubis dont luit le diadème ;
Mais comme il frémirait pour eux de leur fardeau,
S’il regardait le front et non pas le bandeau !
Eux, leur charge les trouble, et leurs mains souveraines
De l’état chancelant mêlent bientôt les rênes. —
Ah ! remportez ce signe exécrable, odieux !

Ce bandeau trop souvent tombe du front aux yeux. —
Larmoyant.
Et qu’en ferais-je enfin ? Mal né pour la puissance,

Je suis simple de cœur et vis dans l’innocence.
Si j’ai, la fronde en main, veillé sur le bercail,
Si j’ai devant l’écueil pris place au gouvernail,
J’ai du me dévouer pour la cause commune.
Mais que n’ai-je vieilli dans mon humble fortune !
Que n’ai-je vu tomber les tyrans aux abois,
À l’ombre de mon chaume et de mon petit bois !
Hélas ! j’eusse aimé mieux ces champs où l’on respire,
Le ciel m’en est témoin, que les soins de l’empire ;
Et Cromwell eût trouvé plus de charme cent fois

À garder ses moutons qu’à détrôner des rois !
Pleurant.
Que parle-t-on de sceptre ? Ah ! j’ai manqué ma vie.

Ce morceau de clinquant n’a rien qui me convie.