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SCÈNE XIV.

Les Mêmes, CARR.

CARR, croisant les bras et regardant Cromwell en face.
Que me veux-tu ? — Tyran par le droit des forfaits,

Les cachots contre toi n’ont donc pas de refuge ?
Que me veut l’apostat ? que me veut le transfuge ?

VOIX DANS LA FOULE.
Silence au furieux !
CROMWELL, au peuple.
Laissez-le faire, amis.
Le ciel veut éprouver David, il a permis
Au fils de Semeï de lui dire anathème.
À Carr.
Continue.
CARR.
Hypocrite ! Oui. Voilà ton système.
Couvrir de beaux semblants tes plans fallacieux !

Sur ton front infernal mettre un voile des cieux !
Railler en torturant ! farder la tyrannie !
Et sur un cœur qui saigne étaler l’ironie !
Mais, pour briser ton sceptre et ton masque à la fois,
Le Seigneur m’a tenu caché dans son carquois.
Il m’a dit : — Prends ton luth, tourne autour de la ville,
Du temple de Cromwell chasse un peuple servile,
Mets en poudre l’autel, jette l’idole au feu.
Dis-leur : l’égyptien est homme, et non pas Dieu ! —
Te voilà donc, Cromwell, sur ton trône de gloire !
Tremble : au jour radieux succède la nuit noire.
Pense au chasseur Nemrod. Le Seigneur triomphant
Brisa son arc de fer comme un jouet d’enfant.
Souviens-toi d’Isboseth. Ce roi vain et peu sage
Fit ranger le premier le peuple à son passage ;
Il mit sur des chevaux cent guerriers d’Issachar
Qui sans cesse couraient en avant de son char.
Mais Dieu fait toujours naître, et c’est l’effroi de l’âme,
Le malheur du bonheur, la cendre de la flamme.