Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Théâtre, tome I.djvu/55

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Telles sont, à peu près, et moins les développements approfondis qui en pourraient compléter l’évidence, les idées actuelles de l’auteur de ce livre sur le drame. Il est loin du reste d’avoir la prétention de donner son essai dramatique comme une émanation de ces idées, qui bien au contraire ne sont peut-être elles-mêmes, à parler naïvement, que des révélations de l’exécution. Il lui serait fort commode sans doute et plus adroit d’asseoir son livre sur sa préface et de les défendre l’un par l’autre. Il aime mieux moins d’habileté et plus de franchise. Il veut donc être le premier à montrer la ténuité du nœud qui lie cet avant-propos à ce drame. Son premier projet, bien arrêté d’abord par sa paresse, était de donner l’œuvre toute seule au public ; el demonio sin las cuernas, comme disait Yriarte. C’est après l’avoir dûment close et terminée, qu’à la sollicitation de quelques amis probablement bien aveuglés, il s’est déterminé à compter avec lui-même dans une préface, à tracer, pour ainsi parler, la carte du voyage poétique qu’il venait de faire, à se rendre raison des acquisitions bonnes ou mauvaises qu’il en rapportait, et des nouveaux aspects sous lesquels le domaine de l’art s’était offert à son esprit. On prendra sans doute avantage de cet aveu pour répéter le reproche qu’un critique d’Allemagne lui a déjà adressé, de faire « une poétique pour sa poésie ». Qu’importe ? Il a d’abord eu bien plutôt l’intention de défaire que de faire des poétiques. Ensuite, ne vaudrait-il pas toujours mieux faire des poétiques d’après une poésie, que de la poésie d’après une poétique ? Mais non, encore une fois, il n’a ni le talent de créer, ni la prétention d’établir des systèmes. « Les systèmes, dit spirituellement Voltaire, sont comme des rats qui passent par vingt trous, et en trouvent enfin deux ou trois qui ne peuvent les admettre. » C’eût donc été prendre une peine inutile et au-dessus de ses forces. Ce qu’il a plaidé, au contraire, c’est la liberté de l’art contre le despotisme des systèmes, des codes et des règles. Il a pour habitude de suivre à tout hasard ce qu’il prend pour son inspiration, et de changer de moule autant de fois que de composition. Le dogmatisme, dans les arts, est ce qu’il fuit avant tout. À Dieu ne plaise qu’il aspire à être de ces hommes, romantiques ou classiques, qui font des ouvrages dans leur système, qui se condamnent à n’avoir jamais qu’une forme dans l’esprit, à toujours prouver quelque chose, à suivre d’autres lois que celles de leur organisation et de leur nature. L’œuvre artificielle de ces hommes-là, quelque talent qu’ils aient d’ailleurs, n’existe pas pour l’art. C’est une théorie, non une poésie.

Après avoir, dans tout ce qui précède, essayé d’indiquer quelle a