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À M. L. BIGOT, AVOCAT DE MAROTEAU.

reuses, Suétens, Marchais et Papavoine ; il n’y a entre l’avenir et nous que l’épaisseur de quelques cadavres utiles à la prospérité publique ; et plus rien ne frémira, et le crédit s’affermira, et la confiance renaîtra, et les inquiétudes s’évanouiront, et l’ordre sera fondé, et la France sera rassurée quand on entendra la voix d’un petit enfant appeler sa mère morte dans les ténèbres.

Ainsi, à cette heure tellement extraordinaire qu’aucun peuple n’en a jamais eu de pareille, sept ou huit tombes, voilà notre ressource ; et quand l’homme d’état, accoudé sur sa table, la tête dans ses mains, épelant des chiffres terribles, étudiant une carte déchirée, sondant les défaites, les catastrophes, les déroutes, les capitulations, les trahisons, les ignominies, les affreuses paix signées, la France épuisée d’or par les cinq milliards extorqués et de sang par les deux provinces arrachées, le profond tremblement de terre de Paris, les écroulements, les engloutissements, les désastres, les décombres qui pendent, l’ignorance, la misère, les menaces des ruines, songe à l’effrayant avenir ; quand, pensif devant tant d’abîmes, il demande secours à l’inconnu ; quand il réclame le Turgot qu’il faudrait à nos finances, le Mirabeau qu’il faudrait à nos assemblées, l’Aristide qu’il faudrait à notre magistrature, l’Annibal qu’il faudrait à nos armées, le Christ qu’il faudrait à notre société ; quand il se penche sur l’ombre et la supplie de lui envoyer la vérité, la sagesse, la lumière, le conseil, la science, le génie ; quand il évoque dans sa pensée le Deus ex machina, le pilote suprême des grands naufrages, le guérisseur des plaies populaires, l’archange des nations en détresse, le sauveur ; il voit apparaître qui ? un fossoyeur, la pelle sur l’épaule.

Victor Hugo.