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DEPUIS L’EXIL. — 1878.

Et c’est sur cette ignorance absolue des législateurs que vous voulez fonder, vous qui vous y connaissez, une législation ! Vous qui êtes compétents, vous accepterez l’arrêt rendu par des incompétents !

Qui expliquera les motifs pour lesquels, dans tous les pays civilisés, la législation attribue à l’héritier, après la mort de son auteur, un laps de temps variable, pendant lequel l’héritier, absolu maître de l’œuvre, peut la publier ou ne pas la publier ? Qui expliquera l’écart que les diverses législations ont mis entre la mort de l’auteur et l’entrée en possession du domaine public ?

Il s’agit de détruire cette capricieuse et bizarre invention de législateurs ignorants. C’est à vous, législateurs indirects mais compétents, qu’il appartient d’accomplir cette tâche.

En réalité, qu’ont-ils considéré, ces législateurs qui, avec une légèreté incompréhensible, ont légiféré sur ces matières ? Qu’ont-ils pensé ? Ont-ils cru entrevoir que l’héritier du sang était l’héritier de l’esprit ? Ont-ils cru entrevoir que l’héritier du sang devait avoir la connaissance de la chose dont il héritait, et que, par conséquent, en lui remettant le droit d’en disposer, ils faisaient une loi juste et intelligente ?

Voilà où ils se sont largement trompés. L’héritier du sang est l’héritier du sang. L’écrivain, en tant qu’écrivain, n’a qu’un héritier, c’est l’héritier de l’esprit, c’est l’esprit humain, c’est le domaine public. Voilà la vérité absolue.

Les législateurs ont attribué à l’héritier du sang une faculté qui est pleine d’inconvénients, celle d’administrer une propriété qu’il ne connaît pas, ou du moins qu’il peut ne pas connaître. L’héritier du sang est le plus souvent à la discrétion de son éditeur. Que l’on conserve à l’héritier du sang son droit, et que l’on donne à l’héritier de l’esprit ce qui lui appartient, en établissant le domaine public payant, immédiat.

Eh quoi ! immédiat ? — Ici arrive une objection, qui n’en est pas une. Ceux qui l’ont faite n’avaient pas entendu mes