Page:Hugo - Les Châtiments (Hetzel, 1880).djvu/40

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Côte à côte rangés dans l’ombre au pied des ifs,
Livides, stupéfaits, immobiles, pensifs,
Spectres du même crime et des mêmes désastres,
De leur œil fixe et vide ils regardaient les astres.
Dès l’aube, on s’en venait chercher dans ce gazon
L’absent qui n’était pas rentré dans la maison ;
Le peuple contemplait ces têtes effarées ;
La nuit, qui de décembre abrège les soirées,
Pudique, les couvrait du moins de son linceul.
Le soir, le vieux gardien des tombes, resté seul,
Hâtait le pas parmi les pierres sépulcrales,
Frémissant d’entrevoir toutes ces faces pâles ;
Et, tandis qu’on pleurait dans les maisons en deuil,
L’âpre bise soufflait sur ces fronts sans cercueil,
L’ombre froide emplissait l’enclos aux murs funèbres.
O morts, que disiez-vous à Dieu dans ces ténèbres ?

On eût dit, en voyant ces morts mystérieux
Le cou hors de la terre et le regard aux cieux
Que, dans le cimetière où le cyprès frissonne,
Entendant le clairon du jugement qui sonne,
Tous ces assassinés s’éveillaient brusquement,
Qu’ils voyaient, Bonaparte, au seuil du firmament
Amener devant Dieu ton âme horrible et fausse,
Et que, pour témoigner, ils sortaient de leur fosse.

Montmartre ! enclos fatal ! quand vient le soir obscur,
Aujourd’hui le passant évite encor ce mur.