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LES MISÉRABLES. — JEAN VALJEAN.

l’étrange passage de M. Fauchelevent dans cette aventure sanglante lui faisait l’effet d’une énigme dans une tempête ; il ne comprenait rien à sa propre vie, il ne savait comment ni par qui il avait été sauvé, et personne ne le savait autour de lui ; tout ce qu’on avait pu lui dire, c’est qu’il avait été rapporté la nuit dans un fiacre rue des Filles-du-Calvaire ; passé, présent, avenir, tout n’était plus en lui que le brouillard d’une idée vague, mais il y avait dans cette brume un point immobile, un linéament net et précis, quelque chose qui était en granit, une résolution, une volonté : retrouver Cosette. Pour lui, l’idée de la vie n’était pas distincte de l’idée de Cosette, il avait décrété dans son cœur qu’il n’accepterait pas l’une sans l’autre, et il était inébranlablement décidé à exiger de n’importe qui voudrait le forcer à vivre, de son grand-père, du sort, de l’enfer, la restitution de son éden disparu.

Les obstacles, il ne se les dissimulait pas.

Soulignons ici un détail : il n’était point gagné et était peu attendri par toutes les sollicitudes et toutes les tendresses de son grand-père. D’abord il n’était pas dans le secret de toutes ; ensuite, dans ses rêveries de malade, encore fiévreuses peut-être, il se défiait de ces douceurs-là comme d’une chose étrange et nouvelle ayant pour but de le dompter. Il y restait froid. Le grand-père dépensait en pure perte son pauvre vieux sourire. Marius se disait que c’était bon tant que lui Marius ne parlait pas et se laissait faire ; mais que, lorsqu’il s’agirait de Cosette, il trouverait un autre visage, et que la véritable attitude de l’aïeul se démasquerait. Alors ce serait rude ; recrudescence des questions