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LES MISÉRABLES. — JEAN VALJEAN.

Les visites de Jean Valjean ne s’abrégeaient point. Loin de là. Quand c’est le cœur qui glisse, on ne s’arrête pas sur la pente.

Lorsque Jean Valjean voulait prolonger sa visite et faire oublier l’heure, il faisait l’éloge de Marius ; il le trouvait beau, noble, courageux, spirituel, éloquent, bon. Cosette enchérissait. Jean Valjean recommençait. On ne tarissait pas. Marius, ce mot était inépuisable ; il y avait des volumes dans ces six lettres. De cette façon Jean Valjean parvenait à rester longtemps. Voir Cosette, oublier près d’elle, cela lui était si doux ! C’était le pansement de sa plaie. Il arriva plusieurs fois que Basque vint dire à deux reprises : Monsieur Gillenormand m’envoie rappeler à Madame la baronne que le dîner est servi.

Ces jours-là, Jean Valjean rentrait chez lui très pensif.

Y avait-il donc du vrai dans cette comparaison de la chrysalide qui s’était présentée à l’esprit de Marius ? Jean Valjean était-il en effet une chrysalide qui s’obstinerait, et qui viendrait faire des visites à son papillon ?

Un jour il resta plus longtemps encore qu’à l’ordinaire. Le lendemain, il remarqua qu’il n’y avait point de feu dans la cheminée. — Tiens ! pensa-t-il. Pas de feu. — Et il se donna à lui-même cette explication : — C’est tout simple. Nous sommes en avril. Les froids ont cessé.

— Dieu ! qu’il fait froid ici ! s’écria Cosette en entrant.

— Mais non, dit Jean Valjean.

— C’est donc vous qui avez dit à Basque de ne pas faire de feu ?

— Oui. Nous sommes en mai tout à l’heure.