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LE LABEUR

Si Gilliatt n’eût pas empoigné à temps le palanguin, c’était une chute. Mais sa main terrible était là ; ce fut une descente.

Quand le frère de Jean Bart, Pieter Bart, ce puissant et sagace ivrogne, ce pauvre pêcheur de Dunkerque qui tutoyait le grand amiral de France, sauva la galère Langeron en perdition dans la baie d’Ambleteuse, quand, pour tirer cette lourde masse flottante du milieu des brisants de la baie furieuse, il lia la grande voile en rouleau avec des joncs marins, quand il voulut que ce fût ces roseaux qui, en se cassant d’eux-mêmes, donnassent au vent la voile à enfler, il se fia à la rupture des roseaux comme Gilliatt à la fracture de la chaîne, et ce fut la même hardiesse bizarre couronnée du même succès surprenant.

Le palanguin, saisi par Gilliatt, tint bon et opéra admirablement. Sa fonction, on s’en souvient, était l’amortissement des forces, ramenées de plusieurs à une seule, et réduites à un mouvement d’ensemble. Ce palanguin avait quelque rapport avec une patte de bouline ; seulement, au lieu d’orienter une voile, il équilibrait un mécanisme.

Gilliatt, debout et le poing au cabestan, avait, pour ainsi dire, la main sur le pouls de l’appareil.

Ici l’invention de Gilliatt éclata.

Une remarquable coïncidence de forces se produisit.

Pendant que la machine de la Durande, détachée en bloc, descendait vers la panse, la panse montait vers la machine. L’épave et le bateau sauveteur, s’entr’aidant en sens inverse, allaient au-devant l’un de l’autre. Ils venaient se chercher et s’épargnaient la moitié du travail.