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LES TRAVAILLEURS DE LA MER

ceux qui vont par couples, d’accord pour bouleverser, l’un défaisant ce que fait l’autre, et les vieux vents qui ont assailli Christophe Colomb sur la côte de Veraguas, et ceux qui pendant quarante jours, du 21 octobre au 28 novembre 1520, ont mis en question Magellan abordant le Pacifique, et ceux qui ont démâté l’Armada et soufflé sur Philippe II. D’autres encore, et comment trouver la fin ? Les vents porteurs de crapauds et de sauterelles qui poussent des nuées de bêtes par-dessus l’océan ; ceux qui opèrent ce qu’on appelle « la saute de vent » et qui ont pour fonction d’achever les naufragés, ceux qui, d’un seul coup d’haleine, déplacent la cargaison dans le navire, et le contraignent à continuer sa route penché ; les vents qui construisent les circumcumuli, les vents qui construisent les circumstrati ; les lourds vents aveugles tuméfiés de pluie, les vents de la grêle, les vents de la fièvre, ceux dont l’approche met en ébullition les salses et les solfatares de Calabre, ceux qui font étinceler le poil des panthères d’Afrique rôdant dans les broussailles du cap de Fer, ceux qui viennent secouant hors de leur nuage, comme une langue de trigonocéphale, l’épouvantable éclair à fourche ; ceux qui apportent des neiges noires. Telle est l’armée.

L’écueil Douvres, au moment où Gilliatt construisait son brise-lames, en entendait le galop lointain.

Nous venons de le dire, le Vent, c’est tous les Vents.

Toute cette horde arrivait.

D’un côté, cette légion.

De l’autre, Gilliatt.