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LES TRAVAILLEURS DE LA MER

panse avec la machine, s’engloutirait sous cet effondrement.

Gilliatt avait cela devant les yeux.

C’était la catastrophe.

Comment la détourner ?

Gilliatt était de ceux qui du danger même font jaillir le secours. Il se recueillit un moment.

Gilliatt alla à son arsenal et prit sa hache.

Le marteau avait bien travaillé, c’était le tour de la cognée.

Puis Gilliatt monta sur l’épave. Il prit pied sur la partie du tablier qui n’avait pas fléchi, et, penché au-dessus du précipice de l’entre-deux des Douvres, il se mit à achever les poutres brisées et à couper ce qui restait d’attaches à la coque pendante.

Consommer la séparation des deux tronçons de l’épave, délivrer la moitié restée solide, jeter au flot ce que le vent avait saisi, faire la part à la tempête, telle était l’opération. Elle était plus périlleuse que malaisée. La moitié pendante de la coque, tirée par le vent et par son poids, n’adhérait que par quelques points. L’ensemble de l’épave ressemblait à un diptyque dont un volet à demi décloué battrait l’autre. Cinq ou six pièces de la membrure seulement, pliées et éclatées, mais non rompues, tenaient encore. Leurs fractures criaient et s’élargissaient à chaque va-et-vient de la bise, et la hache n’avait pour ainsi dire qu’à aider le vent. Ce peu d’attaches, qui faisait la facilité de ce travail, en faisait aussi le danger. Tout pouvait crouler à la fois sous Gilliatt.

L’orage atteignait son paroxysme. La tempête n’avait été que terrible, elle devint horrible. La convulsion de la mer