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LES DOUBLES FONDS DE L’OBSTACLE

Il s’était remis à vider la cale, mais ses bras, à bout d’efforts, pouvaient à peine soulever la pelle pleine d’eau. Il était nu, et frissonnait.

Gilliatt sentait l’approche sinistre de l’extrémité.

Une chance possible lui traversa l’esprit. Peut-être y avait-il une voile au large. Un pêcheur qui serait par aventure de passage dans les eaux des Douvres pourrait lui venir en aide. Le moment était arrivé où un collaborateur était absolument nécessaire. Un homme et une lanterne, et tout pouvait être sauvé. À deux, on viderait aisément la cale ; dès que la barque serait étanche, n’ayant plus cette surcharge de liquide, elle remonterait, elle reprendrait son niveau de flottaison, la crevasse sortirait de l’eau, le radoub serait exécutable, on pourrait immédiatement remplacer le tampon par une pièce de bordage, et l’appareil provisoire posé sur la fracture par une réparation définitive. Sinon, il fallait attendre jusqu’au jour, attendre toute la nuit ! Retard funeste qui pouvait être la perdition. Gilliatt avait la fièvre de l’urgence. Si par hasard quelque fanal de navire était en vue, Gilliatt pourrait, du haut de la grande Douvre, faire des signaux. Le temps était calme, il n’y avait pas de vent, il n’y avait pas de mer, un homme s’agitant sur le fond étoilé du ciel avait possibilité d’être remarqué. Un capitaine de navire, et même un patron de barque, n’est pas la nuit dans les eaux des Douvres sans braquer la longue-vue sur l’écueil ; c’est de précaution.

Gilliatt espéra qu’on l’apercevrait.

Il escalada l’épave, empoigna la corde à nœuds, et monta sur la grande Douvre.