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LES TRAVAILLEURS DE LA MER

réflexions n’étaient pas de la pensée, son sommeil n’était pas du repos. Le jour il n’était pas un homme éveillé, la nuit il n’était pas un homme endormi. Il était debout, puis il était couché, voilà tout. Quand il était dans son branle, l’oubli lui venait un peu, il appelait cela dormir, les chimères flottaient sur lui et en lui, le nuage nocturne, plein de faces confuses, traversait son cerveau ; l’empereur Napoléon lui dictait ses mémoires, il y avait plusieurs Déruchettes, des oiseaux bizarres étaient dans des arbres, les rues de Lons-le-Saulnier devenaient des serpents. Le cauchemar était le répit du désespoir. Il passait ses nuits à rêver, et ses jours à songer.

Il restait quelquefois toute une après-midi, immobile à la fenêtre de sa chambre qui donnait, on s’en souvient, sur le port, la tête basse, les coudes sur la pierre, les oreilles dans ses poings, le dos tourné au monde entier, l’œil fixé sur le vieil anneau de fer scellé dans le mur de sa maison à quelques pieds de sa fenêtre, où jadis on amarrait la Durande. Il regardait la rouille qui venait à cet anneau.

Mess Lethierry était réduit à la fonction machinale de vivre.

Les plus vaillants hommes, privés de leur idée réalisable, en arrivent là. C’est l’effet des existences vidées. La vie est le voyage, l’idée est l’itinéraire. Plus d’itinéraire, on s’arrête. Le but est perdu, la force est morte. Le sort a un obscur pouvoir discrétionnaire. Il peut toucher de sa verge même notre être moral. Le désespoir, c’est presque la destitution de l’âme. Les très grands esprits seuls résistent. Et encore.

Mess Lethierry méditait continuellement, si l’absorption