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LES TRAVAILLEURS DE LA MER

qu’une vision nette, le sourire de Déruchette. Hors de ce sourire, tout était noir.

Depuis quelque temps, sans doute à cause de la perte de la Durande, dont elle ressentait le contre-coup, ce charmant sourire de Déruchette était plus rare. Elle paraissait préoccupée. Ses gentillesses d’oiseau et d’enfant s’étaient éteintes. On ne la voyait plus, le matin, au coup de canon du point du jour, faire une révérence et dire au soleil levant : « bum !… jour. donnez-vous la peine d’entrer. » Elle avait par moments l’air très sérieux, chose triste dans ce doux être. Elle faisait effort cependant pour rire à mess Lethierry, et pour le distraire, mais sa gaîté se ternissait de jour en jour et se couvrait de poussière, comme l’aile d’un papillon qui a une épingle à travers le corps. Ajoutons que, soit par chagrin du chagrin de son oncle, car il y a des douleurs de reflet, soit pour d’autres raisons, elle semblait maintenant incliner beaucoup vers la religion. Du temps de l’ancien recteur M. Jaquemin Hérode, elle n’allait guère, on le sait, que quatre fois l’an à l’église. Elle y était à présent fort assidue. Elle ne manquait aucun office, ni du dimanche, ni du jeudi. Les âmes pieuses de la paroisse voyaient avec satisfaction cet amendement. Car c’est un grand bonheur qu’une jeune fille, qui court tant de dangers du côté des hommes, se tourne vers Dieu.

Cela fait du moins que les pauvres parents ont l’esprit en repos du côté des amourettes. Le soir, toutes les fois que le temps le permettait, elle se promenait une heure ou deux dans le jardin des Bravées. Elle était là, presque aussi pensive que mess Lethierry, et