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NUIT ET LUNE

Ces deux phases, Waterloo et Sainte-Hélène, réduites aux proportions bourgeoises, tout homme ruiné les traverse.

Le soir que nous avons dit, et qui était un des premiers soirs de mai, Lethierry, laissant Déruchette errer au clair de lune dans le jardin, s’était couché plus triste que jamais. Tous ces détails chétifs et déplaisants, complications des fortunes perdues, toutes ces préoccupations du troisième ordre, qui commencent par être insipides et qui finissent par être lugubres, roulaient dans son esprit. Maussade encombrement de misères. Mess Lethierry sentait sa chute irrémédiable. Qu’allait-on faire ? Qu’allait-on devenir ? Quels sacrifices faudrait-il imposer à Déruchette ? Qui renvoyer, de Douce ou de Grâce ? Vendrait-on les Bravées ? N’en serait-on pas réduit à quitter l’île ? N’être rien là où l’on a été tout, déchéance insupportable en effet.

Et dire que c’était fini ! Se rappeler ces traversées liant la France à l’Archipel, ces mardis du départ, ces vendredis du retour, la foule sur le quai, ces grands chargements, cette industrie, cette prospérité, cette navigation directe et fière, cette machine où l’homme met sa volonté, cette chaudière toute-puissante, cette fumée, cette réalité ! Le navire à vapeur, c’est la boussole complétée ; la boussole indique le droit chemin, la vapeur le suit. L’une propose, l’autre exécute. Où était-elle, sa Durande, cette magnifique et souveraine Durande, cette maîtresse de la mer, cette reine qui le faisait roi ! Avoir été dans son pays l’homme idée, l’homme succès, l’homme révolution ! Y renoncer ! Abdiquer ! N’être plus ! Faire rire ! être un sac où il y a eu quelque chose ! être le passé quand on a été l’avenir ! Aboutir à la pitié hautaine