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LES TRAVAILLEURS DE LA MER

fermant les yeux, le front dans la main ; au mystère du sommeil de l’être idéal, aux songes que peut faire un songe. Il n’osait penser au delà et il pensait pourtant ; il se risquait dans les manques de respect de la rêverie, la quantité de forme féminine que peut avoir un ange le troublait, l’heure nocturne enhardit aux regards furtifs les yeux timides, il s’en voulait d’aller si avant, il craignait de profaner en réfléchissant ; malgré lui, forcé, contraint, frémissant, il regardait dans l’invisible. Il subissait le frisson, et presque la souffrance, de se figurer un jupon sur une chaise, une mante jetée sur le tapis, une ceinture débouclée, un fichu. Il imaginait un corset, un lacet traînant à terre, des bas, des jarretières. Il avait l’âme dans les étoiles.

Les étoiles sont faites aussi bien pour le cœur humain d’un pauvre comme Gilliatt que pour le cœur humain d’un millionnaire. À un certain degré de passion, tout homme est sujet aux profonds éblouissements. Si c’est une nature âpre et primitive, raison de plus. Être sauvage, cela s’ajoute au rêve.

Le ravissement est une plénitude qui déborde comme une autre. Voir ces fenêtres, c’était presque trop pour Gilliatt.

Tout à coup, il la vit elle-même.

Des branchages d’un fourré déjà épaissi par le printemps, sortit, avec une ineffable lenteur spectrale et céleste, une figure, une robe, un visage divin, presque une clarté sous la lune.

Gilliatt se sentit défaillir, c’était Déruchette.

Déruchette approcha. Elle s’arrêta. Elle fit quelques pas