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NUIT ET LUNE

que Déruchette était là, qu’il n’y avait besoin de rien de plus, et que l’éternité commençait.

Un bruit les tira tous les deux, elle de sa rêverie, lui de son extase.

Quelqu’un marchait dans le jardin. On ne voyait pas qui, à cause des arbres. C’était un pas d’homme.

Déruchette leva les yeux.

Les pas s’approchèrent, puis cessèrent. La personne qui marchait venait de s’arrêter. Elle devait être tout près. Le sentier où était le banc se perdait entre deux massifs. C’est là qu’était cette personne, dans cet entre-deux, à quelques pas du banc.

Le hasard avait disposé les épaisseurs des branches de telle sorte que Déruchette la voyait, mais que Gilliatt ne la voyait pas.

La lune projetait sur la terre, hors du massif jusqu’au banc, une ombre.

Gilliatt voyait cette ombre.

Il regarda Déruchette.

Elle était toute pâle. Sa bouche entr’ouverte ébauchait un cri de surprise. Elle s’était soulevée à demi sur le banc et elle y était retombée ; il y avait dans son attitude un mélange de fuite et de fascination. Son étonnement était un enchantement plein de crainte. Elle avait sur les lèvres presque le rayonnement du sourire et une lueur de larmes dans les yeux. Elle était comme transfigurée par une présence. Il ne semblait pas que l’être qu’elle voyait fût de la terre. La réverbération d’un ange était dans son regard.

L’être qui n’était pour Gilliatt qu’une ombre parla. Une