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LES TRAVAILLEURS DE LA MER

— Tu n’aimes pas Déruchette ! C’est donc pour moi que tu jouais du bug pipe ?

Gilliatt, toujours adossé au mur, pâlissait comme un homme qui tout à l’heure ne respirera plus. À mesure qu’il devenait pâle, mess Lethierry devenait rouge.

— En voilà un imbécile ! Il n’aime pas Déruchette ! Eh bien, arrange-toi pour l’aimer, car elle n’épousera que toi. Quelle diable d’anecdote viens-tu me conter là ! Si tu crois que je te crois ! Est-ce que tu es malade ? C’est bon, envoie chercher le médecin, mais ne dis pas d’extravagances. Pas possible que tu aies déjà eu le temps de vous quereller et de te fâcher avec elle. Il est vrai que les amoureux, c’est si bête ! Voyons, as-tu des raisons ? Si tu as des raisons, dis-les. On n’est pas une oie sans avoir des raisons. Après ça, j’ai du coton dans les oreilles, j’ai peut-être mal entendu, répète ce que tu as dit.

Gilliatt répliqua :

— J’ai dit non.

— Tu as dit non. Il y tient, la brute ! Tu as quelque chose, c’est sûr ! Tu as dit non ! Voilà une stupidité qui dépasse les limites du monde connu. On flanque des douches aux personnes pour bien moins que ça. Ah ! Tu n’aimes pas Déruchette ! Alors c’est pour l’amour du bonhomme que tu as fait tout ce que tu as fait ! C’est pour les beaux yeux du papa que tu es allé aux Douvres, que tu as eu froid, que tu as eu chaud, que tu as crevé de faim et de soif, que tu as mangé de la vermine de rocher, que tu as eu le brouillard, la pluie et le vent pour chambre à coucher, et que tu as exécuté la chose de me rapporter ma machine, comme on