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DÉPART DU « CASHMERE »

Si vous ne m’aviez rien dit, je n’aurais rien su. Vous seriez parti, j’aurais peut-être été triste, mais à présent je mourrai. À présent que je sais que vous m’aimez, à présent que je sais que je vous aime, il n’est plus possible que vous vous en alliez. À quoi pensez-vous ? Vous n’avez pas l’air de m’écouter.

Ebenezer répondit :

— Vous avez entendu ce qui s’est dit hier.

— Hélas !

— Que puis-je à cela ?

Ils se turent un moment. Ebenezer reprit :

— Il n’y a plus pour moi qu’une chose à faire. Partir.

— Et moi, mourir. Oh ! Je voudrais qu’il n’y eût pas de mer et qu’il n’y eût plus que le ciel. Il me semble que cela arrangerait tout, notre départ serait le même. Il ne fallait pas me parler, vous. Pourquoi m’avez-vous parlé ? Alors ne vous en allez pas. Qu’est-ce que je vais devenir ? Je vous dis que je mourrai. Vous serez bien avancé quand je serai dans le cimetière. Oh ! J’ai le cœur brisé. Je suis bien malheureuse. Mon oncle n’est pas méchant pourtant.

C’était la première fois de sa vie que Déruchette disait, en parlant de mess Lethierry, mon oncle. Jusque-là elle avait toujours dit mon père.

Ebenezer recula d’un pas et fit un signe au batelier. On entendit le bruit du croc dans les galets et le pas de l’homme sur le bord de sa barque.

— Non, non ! cria Déruchette.

Ebenezer se rapprocha d’elle.

— Il le faut, Déruchette.

— Non, jamais ! Pour une machine ! Est-ce que c’est