Page:Hugo - Les Travailleurs de la mer Tome II (1892).djvu/355

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
313
DÉPART DU « CASHMERE »

augmentation de vent. Le Cashmere était déjà hors des eaux de Guernesey. Gilliatt ne le quittait pas des yeux.

Le flot lui arrivait à la ceinture.

La marée s’élevait. Le temps passait.

Les mauves et les cormorans volaient autour de lui, inquiets. On eût dit qu’ils cherchaient à l’avertir. Peut-être y avait-il dans ces volées d’oiseaux quelque mouette venue des Douvres, qui le reconnaissait.

Une heure s’écoula.

Le vent du large ne se faisait pas sentir dans la rade, mais la diminution du Cashmere était rapide. Le sloop était, selon toute apparence, en pleine vitesse. Il atteignait déjà presque la hauteur des Casquets.

Il n’y avait pas d’écume autour du rocher Gild-Holm-’Ur. Aucune lame ne battait le granit. L’eau s’enflait paisiblement. Elle atteignait presque les épaules de Gilliatt.

Une autre heure s’écoula.

Le Cashmere était au delà des eaux d’Aurigny. Le rocher Ortach le cacha un moment. Il entra dans l’occultation de cette roche, puis en ressortit, comme d’une éclipse. Le sloop fuyait au nord. Il gagna la haute mer. Il n’était plus qu’un point ayant, à cause du soleil, la scintillation d’une lumière.

Les oiseaux jetaient de petits cris à Gilliatt.

On ne voyait plus que sa tête.

La mer montait avec une douceur sinistre. Gilliatt, immobile, regardait le Cashmere s’évanouir.

Le flux était presque à son plein. Le soir approchait. Derrière Gilliatt, dans la rade, quelques bateaux de pêche rentraient.