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LES TRAVAILLEURS DE LA MER

vements de précision. Il ne perdait jamais de force. Il ne faisait que des efforts proportionnés. De là les prodiges de vigueur qu’il exécutait avec des muscles ordinaires ; il avait les biceps du premier venu, mais un autre cœur. Il ajoutait à la force, qui est physique, l’énergie, qui est morale.

La chose à faire était redoutable.

Franchir, pendu à ce fil, l’intervalle des deux Douvres ; telle était la question.

On rencontre souvent, dans les actes de dévouement ou de devoir, de ces points d’interrogation qui semblent posés par la mort.

Feras-tu cela ? dit l’ombre.

Gilliatt exécuta une seconde traction d’essai sur le crampon ; le crampon tint bon.

Gilliatt enveloppa sa main gauche de son mouchoir, étreignit la corde à nœuds du poing droit qu’il recouvrit de son poing gauche, puis tendant un pied en avant, et repoussant vivement de l’autre pied la roche afin que la vigueur de l’impulsion empêchât la rotation de la corde, il se précipita du haut de la petite Douvre sur l’escarpement de la grande.

Le choc fut dur.

Malgré la précaution prise par Gilliatt, la corde tourna, et ce fut son épaule qui frappa le rocher.

Il y eut rebondissement.

À leur tour ses poings heurtèrent la roche. Le mouchoir s’était dérangé. Ils furent écorchés ; c’était beaucoup qu’ils ne fussent pas brisés.