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LES TRAVAILLEURS DE LA MER

pouvait être irréparable. Il voulait arriver vite au secours de la machine en danger.

Une des préoccupations de Gilliatt en quittant Guernesey parut être de ne point éveiller l’attention. Il partit de la façon dont on s’évade. Il eut un peu l’allure de se cacher. Il évita la côte est comme quelqu’un qui trouverait inutile de passer en vue de Saint-Sampson et de Saint-Pierre-Port ; il glissa, on pourrait presque dire il se glissa, silencieusement le long de la côte opposée qui est relativement inhabitée. Dans les brisants, il dut ramer ; mais Gilliatt maniait l’aviron selon la loi hydraulique : prendre l’eau sans choc et la rendre sans vitesse, et de cette manière il put nager dans l’obscurité avec le plus de force et le moins de bruit possible. On eût pu croire qu’il allait faire une mauvaise action.

La vérité est que, se jetant tête baissée dans une entreprise fort ressemblante à l’impossible, et risquant sa vie avec toutes les chances à peu près contre lui, il craignait la concurrence.

Comme le jour commençait à poindre, les yeux inconnus qui sont peut-être ouverts dans les espaces purent voir au milieu de la mer, sur un des points où il y a le plus de solitude et de menace, deux choses entre lesquelles l’intervalle décroissait, l’une se rapprochant de l’autre. L’une, presque imperceptible dans le large mouvement des lames, était une barque à la voile ; dans cette barque il y avait un homme ; c’était la panse portant Gilliatt. L’autre, immobile, colossale, noire, avait au-dessus des vagues une surprenante figure. Deux hauts piliers soutenaient hors des flots