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UNE MAUVAISE RÉPUTATION

Abreuveurs Saint-Sampson. Le registre de Falliot constate qu’il vendit pour elle une fois jusqu’à douze boisseaux de patates dites trois mois, des plus temprunes.

La maison avait été chétivement réparée, assez pour y vivre. Il ne pleuvait dans les chambres que par les très gros temps. Elle se composait d’un rez-de-chaussée et d’un grenier. Le rez-de-chaussée était partagé en trois salles, deux où l’on couchait, une où l’on mangeait. On montait au grenier par une échelle. La femme faisait la cuisine et montrait à lire à l’enfant. Elle n’allait point aux églises ; ce qui fit que, tout bien considéré, on la déclara française. N’aller « à aucune place », c’est grave.

En somme, c’étaient des gens que rien ne prouvait.

Française, il est probable qu’elle l’était. Les volcans lancent des pierres et les révolutions des hommes. Des familles sont ainsi envoyées à de grandes distances, des destinées sont dépaysées, des groupes sont dispersés et s’émiettent ; des gens tombent des nues, ceux-ci en Allemagne, ceux-là en Angleterre, ceux-là en Amérique. Ils étonnent les naturels du pays. D’où viennent ces inconnus ? C’est ce vésuve qui fume là-bas qui les a expectorés. On donne des noms à ces aérolithes, à ces individus expulsés et perdus, à ces éliminés du sort ; on les appelle émigrés, réfugiés, aventuriers. S’ils restent, on les tolère ; s’ils s’en vont, on est content. Quelquefois ce sont des êtres absolument inoffensifs, étrangers, les femmes du moins, aux événements qui les ont chassés, n’ayant ni haine, ni colère, projectiles sans le vouloir, très étonnés. Ils reprennent racine comme ils peuvent. Ils ne faisaient rien à personne et ne comprennent