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LES TRAVAILLEURS DE LA MER

Ce nom, Gilliatt, écrit par cette enfant, était tombé dans une profondeur inconnue.

Qu’était-ce que les femmes pour Gilliatt ? Lui-même n’aurait pu le dire. Quand il en rencontrait une, il lui faisait peur, et il en avait peur. Il ne parlait à une femme qu’à la dernière extrémité. Il n’avait jamais été « le galant » d’aucune campagnarde. Quand il était seul dans un chemin et qu’il voyait une femme venir vers lui, il enjambait une clôture de courtil ou se fourrait dans une broussaille et s’en allait. Il évitait même les vieilles. Il avait vu dans sa vie une parisienne. Une parisienne de passage, étrange évènement pour Guernesey à cette époque lointaine. Et Gilliatt avait entendu cette parisienne raconter en ces termes ses malheurs : « Je suis très ennuyée, je viens de recevoir des gouttes de pluie sur mon chapeau, il est abricot, et c’est une couleur qui ne pardonne pas ». Ayant trouvé plus tard, entre les feuillets d’un livre, une ancienne gravure de modes représentant « une dame de la chaussée d’Antin » en grande toilette, il l’avait collée à son mur, en souvenir de cette apparition. Les soirs d’été, il se cachait derrière les rochers de la crique houmet-paradis pour voir les paysannes se baigner en chemise dans la mer. Un jour, à travers une haie, il avait regardé la sorcière de Torteval remettre sa jarretière. Il était probablement vierge.

Ce matin de Noël où il rencontra Déruchette et où elle écrivit son nom en riant, il rentra chez lui ne sachant plus pourquoi il était sorti. La nuit venue, il ne dormit pas. Il songea à mille choses ; — qu’il ferait bien de cultiver des radis noirs dans son jardin ; que l’exposition était bonne ; —